Dossier thématique IA00141452 | Réalisé par
Poupard Laurent (Rédacteur)
Poupard Laurent

Poupard, Laurent. Chercheur au service Inventaire et Patrimoine de la Région Bourgogne-Franche-Comté, 1987-

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  • patrimoine industriel
verreries de Franche-Comté
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  • (c) Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Franche-Comté

Le verre est obtenu en faisant fondre de la silice mélangée à de la chaux et des débris de verre (calcin ou groisil). Un fondant, soude ou potasse (le salin), abaisse le point de fusion de 1 500 °C à 1 200 °C environ. Des colorants ou décolorants peuvent être ajoutés (manganèse, cobalt, etc.), ainsi que de l’oxyde de plomb pour le cristal (flint glass). Il est facile de se procurer les matières premières en Franche-Comté : silice (sable trouvé sur place ou importé), chaux (le calcaire est omniprésent), potasse (fournie par la cendre de bois - de préférence le hêtre - ou de fougères) et bois (puis charbon) pour chauffer le four.

Les verreries au bois

L’énorme consommation de bois d’une verrerie s’explique lorsque l’on sait que 95 % est brûlé pour fournir la potasse, 5 % seulement servant de combustible. L’élément déterminant pour la création d’une verrerie n’est donc pas la présence ou la qualité du sable mais la possibilité de disposer d’une coupe de bois suffisamment importante. Lorsqu’elle est épuisée, la verrerie est abandonnée et une nouvelle créée ailleurs. Rien d’étonnant donc qu’un établissement aussi éphémère n’ait souvent laissé de trace que dans la toponymie et les archives. Et ce alors même que la communauté verrière peut réunir une cinquantaine à une centaine de personnes, qui fabriquent bouteilles et verres à boire, flacons, carafes, salières, lanternes, verrerie technique : tuyaux d’alambics, éléments pour laboratoire tels cornues, éprouvettes, béchers, etc. Le verre à vitre se répand au 18e siècle, obtenu sous forme de cive (disque plat) ou par la technique du manchon (cylindre de verre ouvert aux extrémités et découpé longitudinalement à chaud).

La verrerie s’implante donc au plus près de sa coupe de bois, souvent en un endroit délaissé par ses concurrents (forges et salines) : principalement le flanc oriental des départements du Doubs et de Haute-Saône. C’est ainsi que les gorges du Doubs sont colonisées par des verriers originaires de la Forêt Noire (Schmid, Raspiller, Gresely, etc.) ou de Suisse (Fleury, Hintzy, Robichon, etc.). Ils s’établissent en 1690 à Fessevillers (la Caborde), en 1698 à Charmauvillers (le Bief d’Etoz, renommé pour ses verres à vitre), vers 1712 à Fournet-Blancheroche (Blancheroche connue pour sa gobeleterie mais qui produit aussi des verres de montre à la fin du 18e siècle et du flint glass), etc. Ce sont les mêmes familles que l’on retrouve dans la première moitié du 18e siècle dans le massif sous-vosgien, à Lyoffans et Ronchamp (1706), qui partiront de la verrerie de Saint-Nicolas (Rougemont-le-Château) pour créer celles de Miellin (1730) et de Plancher-les-Mines (Saint-Antoine en 1727 et la Vieille-Hutte en 1731).

L’art de la verrerie est pratiqué dans la région bien avant la forte expansion du 17e siècle. Si des ateliers de verriers sont attestés à Besançon au début de notre ère, deux établissements sont parmi les plus anciens de France : celui de la Vieille-Loye, signalé dès 1290, et la doyenne des verreries en activité, créée en 1493-1496 à Passavant-la-Rochère.

Située dans le Jura au coeur de la forêt de Chaux et connue dès la fin du 13e siècle, la verrerie de la Vieille-Loye s’établit sur son site actuel en 1774. Au cours de son histoire, elle est fréquemment exploitée par des verriers d’origine italienne, ayant transité par l’Argonne : de Buisson (de Busonne), Duraquet (Raccheto, originaires de Venise), Dorlodot (Dorlodo, également de Venise), Bigault (Biguo ou Biguotz, d’Altare en Ligurie). Fabriquant uniquement des bouteilles, pour les vignerons jurassiens, bourguignons mais aussi champenois, elle porte deux dates inscrites sur le mur de l’atelier principal : 1503 (certainement le rappel d’un rétablissement d’activité) et 1884 (modernisation des équipements).

Officiellement fondée en 1475 mais édifiée vingt ans plus tard, la verrerie de la Rochère (Passavant-la-Rochère) est dès la fin du 16e siècle liée aux Hennezel, maîtres verriers originaires de Bohême et établis dans la forêt de Darney (Vosges). Rebâtie en 1840, elle se spécialise dans la gobeleterie de verre blanc (coulée, taillée et gravée). Elle dispose en 1846 de trois fours et de 35 meules à polir (actionnées par une machine à vapeur à partir de 1850), et compte 135 personnes.

Les verreries à la houille

L’un des remèdes à la déforestation, qui entraîne une hausse continue du prix du bois, est l’utilisation du charbon de terre. La technique, difficile à mettre au point, trouve en France une première application industrielle au début de la décennie 1750 à Givors, où une verrerie est créée par deux francs-comtois : Enard (issu du Bief d’Etoz) et Robichon (de Miellin). Si l’approvisionnement en fondant doit être revu, généralement par achat de soude (d’où le succès du procédé Solvay à l’ammoniac), les avantages sont nombreux : plus d’itinérance ni de fériation due au manque de combustible (l’établissement peut fonctionner toute l’année, fidélisant son personnel), possibilité de s’implanter au plus près de la clientèle, hausse de la productivité et baisse des prix permettant une démocratisation de l’usage du verre. L’industrialisation est en cours, qui va condamner les verreries traditionnelles.

La houille étant exploitée en Haute-Saône, une verrerie au charbon est bâtie en 1775 à Champagney pour se substituer à celle, au bois, de Saint-Antoine (Plancher-les-Mines) ; une deuxième ouvre en 1792 à Roye, à 20 km au sud-ouest de là, puis une troisième en 1798, à une dizaine de km à l’ouest, à la Saulnaire (Malbouhans, où une autre verrerie sera bâtie en 1819). Si la première a cessé son activité vers 1815 et si le feu est « tombé » dans la deuxième en 1824, celle de la Saulnaire est encore active en 1869. Elle comprend deux fours : un à la houille de Ronchamp et l’autre au bois, pour l’étendage des manchons et le recuit du verre. Elle emploie huit verriers et trente-deux manouvriers, et produit du verre à vitres. Elle cesse son activité en 1880, alors que le site accueille un orphelinat pour jeunes filles.

Dans le Doubs, c’est au Grand-Denis (Flangebouche) qu’une verrerie utilise du lignite, de 1789 à 1795 (ou au plus tard 1808).

Quelques verreries au bois se convertissent à la houille, partiellement ou totalement.

Près de Besançon, la Compagnie des Verriers de Montferrand remplace en 1859 le moulin de Montferrand-le-Château par une verrerie, équipée de deux fours (de huit ouvreaux, ouvertures permettant de cueillir le verre en fusion dans un pot réfractaire) auxquels est rapidement ajouté un troisième au gaz de houille. L’établissement occupe 200 personnes en 1862. Egalement doté d’une taillerie de 150 tours, il fabrique de la gobeleterie et des services de table de luxe « façon cristal taillé ». Il ferme peu après 1883, alors qu’il emploie 370 personnes (250 hommes, 20 femmes, 40 filles mineures et 60 enfants), et cède la place à une soudière.

A la Vieille-Loye est bâti en 1884 un four à bassin continu système Donzel (remplaçant le four traditionnel à deux niveaux), chauffé grâce à un gazogène alimenté au bois puis au charbon de terre, le bois n’étant alors plus utilisé que pour le recuit (les vignerons se méfient souvent des bouteilles à la houille, accusées d’altérer le goût du vin). La verrerie, qui emploie 155 personnes en 1858 (95 à l’usine et 60 à l’extérieur), est acquise en 1859 par MM Tumboeuf et Neveu, lesquels maintiennent une fabrication au bois. Le personnel est encore d'environ 150 personnes en 1919 alors que la production atteint deux millions de bouteilles (quatre fois plus qu’en 1800). L'établissement n’est toutefois pas de taille à lutter contre les grandes verreries mécaniques et ferme en 1931.

Même succession à la Rochère, où au bois succèdent le gaz fabriqué localement (à partir de 1899 environ) puis la houille en 1905. L'établissement élargit sa fabrication aux fournitures pour le bâtiment : tuiles de verre en 1870 et pavés de verre en 1905. Equipé d’un four à bassin Siemens en 1885, il conserve encore en 1929 deux fours traditionnels (à six et douze ouvreaux). La production est automatisée en 1967 avec un nouveau four à bassin continu pour les pièces de « moulage bâtiment » (un autre sera installé en 1999). La société, qui devient Cristallerie de la Rochère en 1960, s’ouvre à la visite dix ans plus tard puis est labellisée Entreprise du Patrimoine vivant en 2008. Elle emploie 200 personnes - autant qu’en 1901 (100 verriers, 40 tailleurs, 50 manœuvres et emballeurs, 10 voituriers) - et fabrique trois catégories de produits : les articles de table en verre cristallin (soufflé à la bouche) et la verrerie de table pour la restauration (pressée) ; les articles de décoration (soufflés), notamment les vases et lampes de style Art nouveau inspirés par l’école de Nancy ; les tuiles, briques et pavés de verre (pressés).

C'est actuellement la seule verrerie active en Franche-Comté, dernière d'une industrie qui a laissé bien peu de témoins architecturaux.

Deux établissements atypiques

Deux autres établissements méritent d’être évoqués.

Dans le Haut-Doubs, une verrerie est bâtie en 1827 aux Combes de Chaillexon (Villers-le-Lac) par Rosalie Bouverot, veuve de Pierre Louis Guinand, des Brenets (Suisse). Celui-ci est l’inventeur au début du 19e siècle d’une nouvelle technique de fabrication du verre optique à base de cristal (flint glass), domaine jusque-là jalousement gardé par les Anglais, qui lui permet de réaliser des lentilles de lunette astronomique de grande dimension. Après son décès en 1824, son œuvre est poursuivie par sa veuve à Villers-le-Lac (associée en 1827 avec Théodore Daguet, qui ouvre une autre verrerie à Soleure en 1831) et par deux fils : Aimé aux Brenets et Henri à Choisy-le-Roi (dont la succession sera reprise par la société Parra-Mantois). L’établissement des Combes disparaît en 1848 sans laisser de trace.

Le Haut-Jura a lui aussi compté une verrerie, à Saint-Claude. En 1902, la fabrique de pipes Haas et Cie est achetée par Emile Dalloz-Bourguignon, patron diamantaire qui introduit en France la taille mécanique des pierres fausses (imitant pierres précieuses ou pierres fines). Il y installe une diamanterie et une taillerie mécanique de chatons (petites pierres - de 5/10e de mm à 6 mm - en cristal, à 17 facettes, imitant le diamant). Des difficultés d’approvisionnement en matière première le conduisent à faire bâtir une cristallerie au début des années 1920, à laquelle il adjoint dix ans plus tard une verrerie dédiée à la fabrication des boutons. A sa mort en 1941, l’établissement emploie 590 personnes (dont 75 à domicile). Il disparaît en 1963, ne pouvant supporter la concurrence tchèque.

  • Période(s)
    • Principale : 4e quart 18e siècle, 2e quart 19e siècle, 3e quart 19e siècle, 4e quart 19e siècle, 1er quart 20e siècle, 2e quart 20e siècle

Bibliographie

  • Chevalier, Michel. Tableau industriel de la Franche-Comté (1960-1961). - Paris : les Belles lettres, 1961. 101 p. : cartes ; 24 cm. (Annales littéraires de l’Université de Besançon. Cahiers de géographie de Besançon ; 9)

    p. 81
  • Favereaux, Raphaël ; Poupard, Laurent. Patrimoine industriel : Jura / Direction régionale des Affaires culturelles de Franche-Comté, Service régional de l'Inventaire général ; photogr. Jérôme Mongreville, Yves Sancey ; cartogr. Christophe Batardy. - Besançon : Association pour la Promotion et le Développement de l'Inventaire comtois, 1998. 360 p. : ill., cartes ; 27 cm. (Indicateurs du patrimoine).

  • Favereaux, Raphaël. Patrimoine industriel de la Haute-Saône / Région Franche-Comté, Direction de l'Inventaire du Patrimoine ; photogr. Jérôme Mongreville ; cartogr. André Céréza. - Lyon : Lieux Dits, 2010. 112 p. : ill. ; 30 cm. - (Images du patrimoine ; 261)

  • Favereaux, Raphaël ; Poupard, Laurent. Franche-Comté, terre d'industrie et de patrimoine / Région Bourgogne-Franche-Comté, Service Inventaire et Patrimoine ; photogr. Sonia Dourlot, Jérôme Mongreville, Yves Sancey ; dessins Mathias Papigny, Aline Thomas ; cartogr. Pierre-Marie Barbe-Richaud, André Céréza. Lyon : Lieux Dits, 2021. 416 p. : ill. ; 30 cm.

    P. 278-283 : ill.
  • Michel, Guy-Jean. Verriers et verreries en Franche-Comté au XVIIIe siècle. - Paris : Erti, 1989. 2 vol. 715 p. : ill. ; 24 cm. (Recherches). Th. doct. : Hist. : Besançon : 1989.

  • Seurre, André. La verrerie en Franche-Comté.- Besançon : Jacques du Demontrond, 1972. 139 p. : ill. ; 24 cm.

    Région Franche-Comté, Inventaire du Patrimoine, Besançon : R.HA.3

Documents figurés

  • La Haute-Saône illustrée. La Rochère, près de Passavant (Haute-Saône). La cour de la Verrerie. La taillerie, carte postale, s.n., s.d. [fin 19e ou début 20e siècle], CLB éd.

  • La Vieille-Loye (Jura) - Entrée de la Verrerie, carte postale en couleur, s.n., s.d. [limite 19e siècle 20e siècle, avant 1909]. Datation : porte la date 20 juin 1909.

    Collection particulière
  • Verrerie de la Vieille-Loye (Jura) - Intérieur du Four, carte postale, s.n., s.d. [limite 19e siècle 20e siècle, avant 1912].

    Collection particulière
  • Vue plongeante depuis le sud, photographie, s.n. [par Jules Manias ?], s.d. [début 20e siècle], plaque de verre 13 x 18 cm

    Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire et Patrimoine, Besançon : Fonds Manias
  • [Taillerie, cristallerie et verrerie vues du nord-est], photographie, s.n., s.d. [milieu 20e siècle, vers 1951].

    Collection particulière : René Chambard, Saint-Claude

Annexes

  • Communes de Franche-Comté concernées par l'activité verrière
Date(s) d'enquête : 1988; Date(s) de rédaction : 2020
(c) Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine
Poupard Laurent
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Poupard, Laurent. Chercheur au service Inventaire et Patrimoine de la Région Bourgogne-Franche-Comté, 1987-

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