En 1802, le suisse Henri-Louis Perrenod s’associe à Marcelin Dubied et fonde une distillerie d’absinthe à Couvet (Suisse). Il décide de s’établir en France et installe une distillerie à Pontarlier, sous l’appellation Perrenod Fils et Boiteux. En février 1805, il crée une autre société sous son nom seul, et modifie son patronyme en Pernod.
Sa "fabrique d’eau verte" (absinthe), installée dans la Grande Rue (n°73 ?) est équipée de deux alambics et produit, vers 1810, 16 litres d’extrait d’absinthe par jour. L’établissement est ensuite déplacé, puisque l’arrêté préfectoral du 20 septembre 1834 autorise "le sieur Pernod fils à maintenir la distillerie qu’il a établi dans la maison [le couvent] des Augustins". En 1844, la société Pernod Fils emploie quatre ouvriers et utilise quatre alambics. Louis-Alfred et Fritz Pernod, les petits-fils d'Henri-Louis, reprennent l’affaire en 1855. Très prospère compte tenu du succès que rencontre, notamment à l’étranger, la "Fée Verte", la distillerie produit à cette date 450 litres d’absinthe par jour. Une caisse de retraite pour les ouvriers est instituée en 1871.
Par arrêté préfectoral du 15 juillet 1876, Louis-Alfred et Fritz Pernod sont autorisés à transférer leur établissement et à "construire un bâtiment à l’usage d’une distillerie d’absinthe aux lieux dits aux forges et faubourg Saint-Etienne". L’usine, très moderne, est mise en service en 1879. Éclairée à l’électricité, elle est dotée de 16 alambics (1500 litres chacun) et 10 colorateurs (1200 litres), d’une capacité de production de 10 200 litres/jour, alimentés par deux générateurs à vapeurs (système Belleville). Son équipement technique comprend une machine à vapeur de 10 chevaux actionnant diverses machines (rinçage, bouchage, marquage), des monte-charges et des pompes, une machine à clouer (150-200 caisses/heure), une machine à compter, marquer et trier les bouchons (5000/heure). Les caves renferment 144 foudres contenant 500 000 litres d’absinthe, et 11 bacs de tôle contenant 400 000 litres d’alcool (dit 3/6), acheminées par voie ferroviaire dans des wagons-réservoirs. Les entrepôts sont desservis par un embranchement ferroviaire et 300 mètres de quai (dont 200 m à l’intérieur des bâtiments). La distillerie emploie alors une soixantaine d’ouvriers, mais une partie importante des caisses et des tonneaux est fabriquée à l’extérieur. En 1884, l’usine fabrique en moyenne 8600 litres d’absinthe par jour. A la mort de Fritz Pernod en 1880, Louis Alfred reste seul aux commandes, soutenu par Arthur Georges et Edmond Charles, gérants de la banque Veil-Picard de Besançon, qui rachètent la société en 1888. La matrice cadastrale signale un agrandissement de la distillerie en 1885. C’est peut-être ce qui explique qu’en 1896, la capacité de production soit très supérieure. La production journalière atteint 20 000 litres d'absinthe (à 72°) avec 26 alambics et 22 colorateurs. Cette production est conservée dans 230 foudres, et l’alcool stocké dans 19 bacs.
Le 11 août 1901, les bâtiments industriels sont détruits par un incendie provoqué par la foudre. En septembre, la société est autorisée à transférer ses alambics et colorateurs dans l’atelier de tonnellerie pour y poursuivre l’activité. Elle sollicite également l’autorisation d’exploiter « en qualité de locataire la distillerie établie par MM. Constant Paillard et Cie dans la propriété de M. Tréand, place des Bernardines, n°3 ». La distillerie est reconstruite en 1902-1903 sur le même emplacement. La nouvelle salle de distillation s’étend sur plus de 1000 m². Elle est équipée de 60 alambics, capables de produire 25 000 litres d'absinthe par jour (soit quatre millions de litres par an), qui sont alimentés par quatre générateurs à vapeur. L’alcool est stocké dans 100 bacs de 500 hl chacun. Les machines de conditionnement se composent d’une soutireuse (remplissage d’une bouteille en 3 secondes) et d’une boucheuse automatique, d’une étiqueteuse (1200 bouteilles/heure) et d’une marqueuse-trieuse de bouchons. L’ensemble est mis en mouvement par une machine à vapeur auxiliaire d’une puissance de 100 ch. Installée dans un local situé sur la rive gauche du barrage sur le Doubs, une turbine de 100 chevaux fournit une partie de l’électricité de l’usine. Le personnel comprend huit employés de bureau, six contremaîtres, 120 ouvriers et 110 ouvrières. L’effectif monte à 265 personnes en 1912.
Convertie en hôpital militaire pendant la Première Guerre mondiale, l’usine ferme définitivement ses portes suite à l’interdiction de la fabrication de l’absinthe en 1915. Elle est vendue en 1919 à la Compagnie des chocolats Peter-Cailler-Kohler (PCK), qui y implante une fabrique de confiserie. La marque Pernod Fils est vendue en 1926 à André Hémard, qui fusionne son entreprise implantée à Montreuil-sous-Bois pour créer les Etablissements Pernod. En mai 1921, la société PCK demande l’autorisation de démolir la "grange Bourdin", située au n°41 du faubourg Saint-Etienne, pour y construire une maison afin d’y loger son personnel. Un logement pour directeur est bâti à la pointe sud de la parcelle dans l’entre-deux-guerres. Deux habitations ouvrières, renfermant un total de 20 logements de quatre pièces, sont construites en 1928-1929 au sud du site. Elles seront détruites dans les années 1960 ou 1970. Le 1er janvier 1929, la société PCK fusionne avec l’entreprise Nestlé. L’usine de Pontarlier emploie alors 508 ouvriers. Rebaptisée SOPAD (Société des Produits Alimentaires et Diététiques) en 1947, l’usine fabrique des tablettes de chocolat (jusqu’en 1954) et de la confiserie (bonbons, dragées, etc.) sous les marques Kohler et Nestlé. L’effectif passe de 900 personnes en 1949 à 500 en 1953. La fabrication de poudre chocolatée (Nesquik), lancée en 1961, nécessite la construction de nouveaux bâtiments au sud. Un bâtiment à vocation sociale (restaurant, douche, vestiaires) est construit en 1963-1964. L'usine a été agrandie et modernisée dans le dernier quart du 20e siècle.
Raphaël Favereaux, chercheur. Région Bourgogne-Franche-Comté, Service Inventaire et Patrimoine, 1995-