Dossier thématique IA00141451 | Réalisé par
Poupard Laurent (Rédacteur)
Poupard Laurent

Poupard, Laurent. Chercheur au service Inventaire et Patrimoine de la Région Bourgogne-Franche-Comté, 1987-

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  • patrimoine industriel
salines de Franche-Comté
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  • (c) Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Franche-Comté

Si en 1926 Salins prend le nom de Salins-les-Bains pour signaler l’importance qu’elle accorde à son établissement thermal, l’appellation n’est pas usurpée : elle était même encore mieux adaptée il y a quelques 200 à 250 millions d’années, lorsque la région formait un ensemble de lagunes peu profondes. C’est à cette période, le Trias (et notamment au Trias supérieur ou Keuper, environ - 205 à - 230 Ma), et dans ce contexte lagunaire que se dépose le sel, piégé dans des couches imperméables d’argile ou de marne. Le chlorure de sodium va être exploité pendant sept millénaires : une belle longévité pour une activité humaine !

Les salines d’Ancien Régime

La sédimentation se poursuivant pendant des millions d’années, les dépôts correspondant au Trias atteignent, d’après un sondage réalisé en 1959 non loin de Mignovillard, une épaisseur de 1 400 m ; à l’intérieur, les strates contenant du sel totalisent 450 m. Des forages dans les régions de Lons-le-Saunier et Salins ont par ailleurs révélé l’existence d’un banc de sel gemme de plus de 100 m d’épaisseur.

L’exploitation s’est concentrée dans les endroits où les couches salifères sont peu profondes (affleurement du Trias à sel) et signalées par des sources ou des mares salées (l’eau d’infiltration s’étant chargée en chlorure de sodium en traversant ces couches). Trois zones se distinguent : le massif sous-vosgien dans le nord de la Haute-Saône, les environs de Besançon et, surtout, la zone qui s’étend de Salins à Lons-le-Saunier et Montmorot. Caractéristique intéressante : outre du sel (et du gypse), l’étage du Keuper contient de la houille, qui pourra être utilisée comme combustible pour le chauffage des chaudières d’évaporation.

L’exploitation du sel est très ancienne : si le Romain Varron vante les salaisons de Séquanie au 1er siècle avant notre ère, elle aurait débuté dès le 5e millénaire (Gouhenans 4821-4534 avant Jésus Christ, Abergement-le-Ronce, Montaigu 4349-4060, Mantry 3900-3540, etc.).

En Franche-Comté, le précieux produit est obtenu en faisant évaporer l’eau de la saumure, donnant un sel dit « ignigène » (car nécessitant une source de chaleur artificielle). Au Néolithique, la technique consiste à verser de la saumure sur du bois en combustion. Il faut ainsi, pour obtenir 23 kg de sel, 300 l de saumure (concentrée à 30 g/l) et 1,5 m3 de bois. La technique s’améliore par la suite et la cuisson s’effectue dans des chaudières, mais les besoins en bois de chauffage sont toujours importants, ce dont témoigne le travail des archéologues mettant en lumière l’importance des couches de charbon de bois retrouvées et l’ampleur des défrichements.

Indispensable à la vie, le sel est un produit coûteux. Il est d’ailleurs surnommé « l’or blanc » du fait de son importance économique, tant pour sa valeur propre que par les taxes et impôts qui pèsent sur lui. Raison suffisante pour que le pouvoir cherche à en maîtriser la production et la commercialisation, jusqu’à s’en réserver le monopole. Au fil des siècles, la recherche d’une meilleur rentabilité va entraîner des progrès dans l’ensemble de la chaîne de production : récupération plus en profondeur d’une saumure plus chargée en sel, augmentation de sa concentration avant cuisson, amélioration des chaudières et des procédés de chauffage, etc. Ces modifications peuvent être illustrées par l’exemple des salines de Salins qui, très anciennes, font partie des dernières à fermer dans les années 1960.

Les salines de Salins

L’archéologie atteste avec certitude que le sel est exploité à Salins environ 3 000 ans avant Jésus Christ. La vallée encaissée est parcourue par une rivière torrentielle - au nom éloquent : la Furieuse -, à proximité de laquelle sourdent les sources salées. Une ville s’y développe qui, à l’occasion d’un partage de seigneurie au 10e siècle, est divisée en deux entités disposant chacune de sa saline : au sud le Bourg Dessus avec la Grande Saline (ou « Grande Saunerie ») et au nord le Bourg Dessous avec la Petite Saline (ou « puits à Muire », du latin muria : saumure). Ces deux établissements, séparés par un troisième plus modeste (la « Chauderette de Rosières »), sont au 13e siècle la propriété commune d’un grand nombre de personnes (parçonniers ou rentiers) : une centaine pour le premier, 161 pour le deuxième.

En 1237, Jean 1er de Chalon dit Jean l’Antique, régent du comté de Bourgogne, achète la seigneurie de Salins. Il met la main sur la Grande Saline qu’il fortifie, de même que la cité. Ses successeurs, par une politique continue de rachats, parviennent au 17e siècle à se rendre maître des trois salines. Ils les réunissent (un canal sera d’ailleurs construit en 1627 pour amener la saumure de la Petite à la Grande Saline) et en confient l’exploitation à un fermier. Le système ne sera pas changé après la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV en 1674 mais l’établissement deviendra une manufacture royale contrôlée par l’administration des Fermes et Gabelles.

Dès le Moyen Age, la Grande Saline est un établissement industriel important : 800 à 1 000 personnes travaillent pour elle, dont une majorité occupée à assurer son approvisionnement en bois. Corsetée dans un mur d’enceinte, elle dispose de nombreux bâtiments, qui sont reconstruits en pierre à la suite d’un incendie en 1409. L’ordre en est donné par Jean sans Peur, duc et comte de Bourgogne, auquel elle fournit la moitié des bénéfices qu’il tire de la Comté. Elle produit environ 48 000 quintaux de sel par an à la fin du 16e siècle.

En fait, la saline se développe sur deux niveaux : captage de la saumure au sous-sol et fabrication du sel en surface. Elle s’organise autour de deux puits : celui d’Amont (ou « Grand Puits »), attesté en 1115, et celui à Gré, qui aurait été mis en service entre 1224 et 1248. Les deux ont été réunis au 13e siècle par une galerie souterraine voûtée, longue de 165 m et haute de 6 à 7 m, renforcée à maintes reprises. Dans chacune des deux salles - comme à la Petite Saline - sourdent plusieurs sources, certaines salées et d’autres non. La première tâche consiste à les séparer avant qu’elles ne se mélangent, ce qui ferait baisser la concentration de la muire et augmenterait la consommation en bois de chauffe. L’eau douce est donc rejetée dans la rivière, par le canal de Cicon, tandis que l’eau salée est remontée à la surface. Elle y est chauffée dans une chaudière ou poêle et l’eau s’évaporant, le sel cristallise. Il est alors récolté, séché et conditionné sous diverses formes.

Un nouveau système d’exhaure est installé au puits d’Amont en 1749 : une roue hydraulique en-dessus, actionnée par les eaux de la Furieuse, actionne une pompe à l’aide d’une longue bielle en bois montée sur chevalet (le même type de machine sera installée au puits à Muire). En 1791, la saline comptera quatre roues et dix pompes. Les poêles, dont le nombre varie entre cinq et huit sous l’Ancien Régime, sont modifiées au 18e siècle. Elles étaient en 1593 de forme ronde, d’un diamètre de 7,5 m et d’une contenance de 13 m3 ; elles sont par la suite ovales (et complétées par un poêlon trapézoïdal), longues de 9 m et d’une capacité de 28 m3.

La saline royale d’Arc-et-Senans

Au cours du 18e siècle, Salins montre ses limites : baisse de la concentration de la saumure, implantation ne permettant aucun développement, ville congestionnée par la circulation due aux exportations de sel (dont la production atteint 58 000 quintaux en 1757) et aux importations de bois (les charrois mobilisent alors 320 mulets et 6 500 chevaux !), approvisionnement en bois toujours plus coûteux du fait d’une déforestation toujours plus importante, etc. La solution : « délocaliser » la fabrication en construisant ex nihilo une unité annexe à proximité de la forêt. Comme l’écrit l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, nommé en 1771 commissaire des salines pour la Franche-Comté, la Lorraine et les Trois Evêchés : « Il [est] plus facile de faire voyager l’eau que de voiturer une forêt en détail » (Cité par Massounie, Dominique. Arc-et-Senans : la saline royale de Claude-Nicolas Ledoux, 2016, p. 82).

Un site est choisi entre les villages d’Arc et de Senans, en bordure de la forêt de Chaux qui s’étend sur plus de 20 000 ha et fournit depuis 1753 une partie de son bois à la Grande Saline. Conjuguant réflexions théoriques, symbolisme et rationalité pour réaliser des œuvres empreintes de cette grandeur monumentale que magnifie le néo-classicisme, Ledoux inscrit la nouvelle saline royale au centre d’une future cité idéale de Chaux. Il lui donne un plan rationnel, en demi-cercle, symétrique, avec des pavillons séparés afin de limiter les risques d’incendie et favoriser la circulation de l’air. Le diamètre est dessiné par les deux bernes encadrant la maison du directeur tandis que sept bâtiments matérialisent la demi-circonférence : l’entrée au centre, encadrée de chaque côté par un atelier (tonnellerie à l’ouest, maréchalerie à l’est), un logis (de douze chambres) pour les berniers (sauniers) et le pavillon des commis, dans l’axe des bernes.

L'établissement, doté de huit chaudières, entre en activité en 1778. Il est alimenté à l’aide d’un saumoduc double long de 21 km et formé de 15 000 troncs de sapin évidés. Ce sont les « petites eaux » (dont la salinité est faible) qui lui sont destinées car elles vont pouvoir être concentrées dans un bâtiment de graduation, équipement connu en Allemagne depuis le 16e siècle. Simple charpente supportant un toit, rempli de fagots d’épineux, celui-ci est long de 500 m, large de 10 et haut de 7. Une pompe élève la saumure sous le toit, d’où elle s’écoule sur les fagots et sa teneur en sel augmente à mesure que le vent évapore l’eau de ruissellement.

Les autres salines de la période historique

C’est au 9e siècle que l’exploitation du sel est attestée de manière certaine à Lons, pour la première fois qualifié de Saunier vers 980. Son Puits salé est abandonné au début du 14e siècle mais Salins n’arrivant pas à remplir son obligation de fournir les cantons suisses en « sels d’alliance », des travaux sont entrepris à la fin du 17e siècle et au début du siècle suivant pour y relancer une production. La saline ouvre finalement en 1735 dans la commune voisine, Montmorot, à l’Etang du Saloir (où une exploitation avait déjà eu lieu). Elle passe en 1743 au Parisien Jean Lallemand, qui la transfère à son emplacement actuel où il fait construire une nouvelle usine par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Jean Querret du Bois. Outre les bâtiments d’exploitation habituels (berne dotée de six poêles, étuaille, etc.), l’établissement comprend trois bâtiments de graduation, munis de 40 pompes et longs d’environ 300, 530 et 570 m.

D’autres sources salées sont connues pour la période historique mais il est parfois difficile de déterminer si elles ont été exploitées autrement que pour un usage purement local. Dans la zone Salins-Montmorot, cette exploitation est avérée à Grozon, où l’une des plus anciennes salines de Franche-Comté fut fermée en 1369 au bénéfice de Salins, et à Tourmont, où deux tentatives de relance tournent court en 1448 et 1514.

Les textes mentionnent d’autres établissements : en Haute-Saône aux 12e et 13e siècles à Scey-sur-Saône (actuellement Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin), du 12e siècle à 1826 à Saulnot (qui aurait été en 1590-1591 la deuxième saline européenne à réussir la fabrication de sel en utilisant le charbon de terre comme combustible), etc. Dans le Doubs, toujours au 12e siècle, la saumure est exploitée à Soulce (Soulce-Cernay), où subsiste au hameau de la Saulnerie un vestige du puits salé (une simple margelle dans un champ), mais cette fabrication intermittente disparaît avec la guerre de Dix Ans.

La multiplication des salines au 19e siècle

Les progrès de la recherche en géologie conduisent en 1819 et 1821 à la découverte de bancs de sel gemme en Lorraine. La fabrication de l’or blanc n’est donc plus soumise aux hasards de la trouvaille de sources salées ni aux aléas des variations de salinité de la saumure. Une véritable exploitation industrielle devient possible, facilitée par l’évolution législative qui supprime en 1840 le monopole d’Etat sur le sel.

Les progrès techniques dans les salines existantes

Les forages permettent dorénavant de localiser la matière première, qui peut être obtenue de deux manières : par extraction minière - analogue à celle du charbon ou du minerai de fer - ou par sondage - pompage de la saumure, naturelle ou obtenue par dissolution (de l’eau est injectée dans le banc, où elle se charge en sel donnant une saumure concentrée). En Franche-Comté, la première méthode n’est mise en œuvre qu’à Mélecey (Haute-Saône) tandis que la seconde prévaut partout, permettant de relancer l’activité des établissements existants et d’en créer de nouveaux. D’autant que l’augmentation de la salinité accroît la production tout en permettant des économies de combustible.

Le premier progrès concerne donc le captage des eaux salées. A Montmorot, le banc de sel est atteint par forage en 1831 et l’exploitation par puits de sondage d’une saumure concentrée permet, dans les années qui suivent, la suppression des bâtiments de graduation, l’abandon de la source de Lons et l’agrandissement de la saline vers 1843. A Salins, le premier banc de sel est localisé en 1832 à une profondeur de 236 m par un forage au puits à Gré ; d’autres forages seront réalisés une quinzaine d’années plus tard aux puits d’Amont et du Tripot. Il n’y a pas d’injection d’eau mais un simple pompage d’une saumure quasiment saturée : elle contient 330 g de sel par litre d’eau alors que le seuil de saturation à froid est de 360 g (l’eau de mer en a en moyenne 35 g par litre).

Par ailleurs, la substitution de la houille au bois et au charbon de bois, imposée en 1791, ne se fait que progressivement faute de mines locales. D’où l’importance de la voie ferrée Dole - Salins, ouverte en 1857, qui permet l’arrivée du charbon de terre des bassins de la Loire (Rive-de-Gier) et de Saône-et-Loire (Epinac, Blanzy, Montchanin).

Ce nouveau combustible entraîne une modification de la poêle, désormais rectangulaire, bien plus grande (17 m de long sur 4 de large) et d’une capacité de 40 m3 environ. Son fond repose sur des chandelles en fonte au lieu d’être suspendu à la charpente. Elle est coiffée d’une sorte de toit en bois, servant d’égouttoir au sel qui vient d’être tiré et, en utilisant des volets en bois, de couvercle pour favoriser l’augmentation de la température et économiser le combustible. Six poêles de ce type seront en service à Salins à la fin du 19e siècle.

Les concessions des années 1840

La loi de 1840 permet de clarifier la situation de la saline de Gouhenans, en Haute-Saône. En 1828, la société Parmentier, Grillet et Cie avait obtenu la concession d’une mine de houille et, lors des forages, découvert l’existence d’un banc de sel épais de 7 à 8 m (il y en a finalement six pour une épaisseur totale de 22 m). Sa demande d’exploitation de ce gisement étant rejetée, elle avait porté l’affaire devant les tribunaux et, sans attendre, mis sa saline en service en juillet 1831. Cette exploitation illicite (16 poêles en 1834) se poursuit pendant une dizaine d’années, jusqu’à l’attribution en 1843 d’une concession de 688 ha et la reconnaissance de l’établissement. Produisant 10 000 t de sel par an, il est acquis en 1848 par Grimaldi fils, qui lui ajoute en 1850 une usine de produits chimiques, assurant notamment la fabrication de soude (une verrerie y sera aussi bâtie en 1903). En effet, la fabrication du sel peut s’accompagner d’une production annexe de sulfate de soude naturel mais avec le procédé Leblanc (ensuite remplacé par celui d’Ernest Solvay) naît une véritable industrie chimique qui, en 1868, consomme 21 % du sel produit dans l’Est. 27 ouvriers travaillent à l’usine de produits chimiques de Gouhenans en 1865 pour 105 à la saline et 80 à la houillère (le site totalisera 277 personnes dix ans plus tard).

La même année 1843, toujours en Haute-Saône, une autre concession (480 ha) est attribuée à Mélecey, dans une zone où existent depuis 1778 des mines de charbon. Les travaux préparatoires durent de 1845 à 1850 : creusement d’un puits de 137 m de profondeur et construction de la saline suivant les plans de l’architecte Lamare. La fabrication débute en 1850 avec abattage à l’explosif. Le sel ignigène, plus pur et plus blanc, étant préféré au sel gemme, les blocs sont broyés et dissous pour finalement cristalliser dans des poêles. L’exploitation se poursuit par dissolution et pompage de 1863 à 1872, date d’arrêt de la fabrication (la saline fermera deux ans plus tard). La production moyenne est de 800 t de sel durant cette deuxième phase, avec un maximum d’un millier de t en 1866.

Dans le Jura, la concession de Grozon est accordée en 1845 à la Compagnie des Mines du Jura. Les ingénieurs Delize, Thomas et Boucard conçoivent l’atelier de fabrication de la saline, bâtie vers 1853-1854 et alimentée en saumure par trois puits de sondage. Equipé de huit poêles alimentées jusque vers 1860 par de la houille extraite sur place, l’établissement emploie 12 personnes en 1864 pour une production de 1 200 t de sel (3 000 en 1875).

De nouvelles concessions dans les années 1860 à 1890

De nouvelles concessions sont accordées à partir de la fin des années 1860. Ainsi dans le Doubs à Miserey (qui deviendra Miserey-Salines en 1922) où est découvert un banc de sel gemme de 54 m d’épaisseur, objet en 1868 d’une concession de 1 102 ha. La SA des Salines et Mines de Miserey, à capitaux majoritairement helvétiques, est créée en 1872. Elle fait bâtir une saline (dotée de 12 poêles), alimentée par trois sondages (deux autres seront forés ensuite, en 1926 et 1935). La production est d’environ 10 000 t de sel à la fin du siècle, sans compter la saumure (contenant 291 g de sel par litre d’eau) envoyée par saumoduc à l’établissement thermal de Besançon, ouvert en 1892.

Une autre concession est attribuée en 1875 dans la commune voisine, Châtillon-le-Duc, où cinq sondages sont foncés de 1875 à 1891. La SA des Mines de Sel gemme et Salines de Châtillon-le-Duc édifie en 1878 son établissement sur la commune de Geneuille, en bordure immédiate de la voie ferrée. Sa production atteint 9 400 t de sel en 1883.

Troisième concession, toujours dans la région bisontine : celle de Pouilley-les-Vignes en 1889, qui alimente le site de Montferrand dont l’ancienne verrerie, au bord du Doubs, est acquise et partagée en deux. Une saline est construite au nord-ouest pour la Compagnie des Sels de Besançon, fondée pour l’occasion, tandis que l’emplacement de la verrerie est réutilisé pour l’usine de soude de la SA de la Soudière de Besançon, créée en 1890 (les premiers brevets de Solvay venant de tomber dans le domaine public). Mais toutes deux ferment avant la fin de la décennie et le puits de sondage est abandonné en 1901.

Une quatrième concession, en 1898 à Serre-les-Sapins, ne sera pas suivie d’exploitation.

Deux concessions sont attribuées dans le Jura au cours de cette même décennie 1890. La première en 1892, portant sur 731 ha, est à l’origine de la création de puits de sondage à Perrigny et de la saline de Montaigu (deux communes limitrophes de Lons-le-Saunier). L’ensemble entre en activité en 1893 et dès 1895, la saline alimente en eaux-mères (eaux résiduelles aux vertus thérapeutiques) l’établissement thermal de la ville de Lons. Elle dispose d’un embranchement ferroviaire, produit 4 442 t de sel en 1904 (avec un maximum de 9 320 t en 1932) et comptera cinq poêles au milieu du siècle. La deuxième, à Poligny, date de 1894. La Compagnie des Mines de Sel de Poligny fait bâtir en 1895-1896, à proximité de la voie ferrée, son usine dont la production annuelle est de 4 000 à 4 500 t de sel.

La disparition de l’industrie salicole au 20e siècle

La multiplication des salines dans l’Est a été telle que cette industrie s’y trouve potentiellement en situation de surproduction, tout en devant faire face à la concurrence de celles du Midi. Le milieu cherche donc à se réguler et la société des Anciennes Salines de l’Est décide la fermeture de certains de ses établissements.

Réorganisation et fermetures

La première saline qui ferme, dès 1894, est celle d’Arc-et-Senans. Si extraordinaire que soit son architecture, c’est un échec industriel : le saumoduc fuit (perdant jusqu’au tiers de sa saumure, il avait été refait en fonte) tandis que l’avantage procuré par le rapprochement de la forêt disparaît lorsque s’impose l’usage de la houille, importée de Saône-et-Loire. La production annuelle qui devait s’élever à 60 000 quintaux de sel n’a pas dépassé les 40 000 quintaux, dans une usine accueillant une soixantaine de personnes. Le site est donc délaissé (la maison du directeur sera incendiée en 1918 et sa colonnade dynamitée en 1926). La société ferme aussi, au milieu du 20e siècle, Grozon (près de 3 000 t de sel en 1919) et Gouhenans (mais si la Société minière et industrielle de Gouhenans cesse ses activités, celle des Produits chimiques Kuhlmann, installée là en 1927, poursuit les siennes jusqu’en 1955).

Elle privilégie la saline de Montmorot (8 000 t de sel, avec 10 chaudières et 40 ouvriers en 1864), encore susceptible d’extensions. Elle y fait construire vers 1925 l’atelier B, destiné à un « évaporateur clos à triple effet Prache et Bouillon ». Utilisé pour la première fois en Suisse à la saline de Bex (canton de Vaud) en 1877 et en France dans celle de Maixe (Meurthe-et-Moselle) en 1882, l’évaporateur par compression de vapeur est développé dans le 1er quart du 20e siècle par la Société générale d’Evaporation, de Prache et Bouillon. La saline, qui compte 19 poêles en 1925, augmente leur nombre, dans de nouveaux bâtiments : atelier C vers 1930 puis un autre au cours de la décennie suivante (qui accueille vers 1948 un évaporateur Escher-Wyss).

Disparition d’une industrie dépassée

L’industrie salicole comtoise n’est plus compétitive, avec des coûts de transport (de houille notamment) importants. Elle ne peut (ou ne veut) réaliser les investissements nécessaires pour sa modernisation, dans un cadre par ailleurs élargi avec la création du marché commun en 1957. Elle disparaît donc dans les années 1960, alors qu’elle fournit 6,1 % du sel produit en France.

La saline de Montaigu (31 personnes) est fermée en 1960 et convertie en caves d’affinage de comté. Cette fermeture s’effectue lors de sa reprise par la Société salinière de l’Est (qui succède à la Société salinière lorraine, SA fondée en 1944 par différents producteurs de sel et passée en 1946 sous le contrôle des salins du Midi). L’entreprise vient en effet d’absorber cinq affaires, dont deux en Franche-Comté (Montaigu et Miserey).

La Société salinière de l’Est est rejointe en 1962 par les Anciennes Salines de l’Est, qui lui apportent leurs établissements. Elle est réorganisée en privilégiant le site de Varangéville (Meurthe-et-Moselle) et en fermant les salines franc-comtoises : Salins-les-Bains en 1962 (12 personnes) - transformée en musée -, Montmorot en 1966 (120 personnes) - accueillant des magasins de commerce et les archives départementales du Jura -, Miserey-Salines en 1967 - transformée en dépôt de pneumatiques - et Châtillon-le-Duc - reprise par une entreprise de transports - en 1968, année où la société devient Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est.

Une survivance marginale

La fermeture des salines ne signifie cependant pas obligatoirement l’arrêt de l’exploitation du sel. Ainsi, la saline de Poligny cesse ses activités en 1930 mais parce que la saumure est dorénavant exclusivement réservée à l'usine de produits chimiques de Tavaux. En effet, la société belge Solvay et Cie, fondée en 1863, vient d'ouvrir dans cette commune une grande fabrique de soude exploitant le brevet déposé en 1861 par Ernest Solvay (à la veille de la Première Guerre mondiale, 90 % de la soude produite dans le monde l’est suivant ce brevet). L'entreprise a trouvé à Tavaux les terrains et les matières premières dont elle a besoin : eau, calcaire et sel (acheminé par saumoduc). Elle va pouvoir s'y développer, au point que 3 400 personnes y travailleront dans les années 1960.

La société utilise à Poligny une technique d’exploitation intensive qu’elle met alors au point : celle dite par pistes et sondages. De 1928 à 1931, 45 sondages sont forés sur près de 2 km dont chacun va, jusqu’à son abandon en 1969, produire environ 460 000 t de sel. A partir de 1977, le site sert en outre à augmenter la concentration d’une saumure provenant d’Etrez (Ain), seule utilisée à partir de 2007. Lorsque l’exploitation cesse en 2010, 246 sondages auront été réalisés pour une production totale supérieure à 32 millions de t de sel.

Beaucoup plus modestement, la saline de Salins, dont la fermeture est envisagée dès 1938, se maintient parce qu’elle doit, par un contrat signé en 1860, fournir des eaux-mères à l’établissement thermal ouvert en 1854 à l’emplacement de la Petite Saline. Fonctionnant par intermittence et produisant un millier de t de sel par an, elle ne ferme qu’en 1962 (les thermes exploitant le puits à Muire).

Elle est achetée par la ville quatre ans plus tard puis ouverte à la visite en 1968. Malgré les nombreuses disparitions de bâtiments, suite à son incendie en 1825 puis lors de la Deuxième Guerre mondiale, elle a conservé l’essentiel, ses installations techniques : la pompe avec sa transmission et sa roue hydraulique, et une poêle (restaurée de 2003 à 2010). Le musée a été rénové en 2009.

C’est un même schéma à Miserey. Le sort de la saline (qui aurait produit plus d’un million de t de sel au cours de son existence) est scellé lorsqu’elle brûle le 31 juillet 1967 mais deux de ses puits de sondage sont acquis en 1971 par la ville de Besançon pour son établissement thermal de la Mouillère (dont les bains ont été détruits en 1967 mais qui se dote en 1976 d’un nouveau centre hydrominéral, réunissant cabinet de kinésithérapie et piscine). Ces puits sont rénovés en 1999 et 2004.

Finalement, l’industrie du sel a laissé un patrimoine assez hétérogène : bâtiments en grande partie détruits, reconvertis (tels ceux de Montmorot), quelques rares puits de sondage (à Miserey-Salines et Montmorot), etc. La valeur exceptionnelle des salines d’Arc-et-Senans et de Salins-les-Bains a justement été reconnue par leur inscription au titre des monuments historiques (en 1926 et 1940 pour la première, 1971 et 2009 pour la deuxième) puis sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité (en 1982 et 2009).

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  • Favereaux, Raphaël ; Poupard, Laurent. Patrimoine industriel : Jura / Direction régionale des Affaires culturelles de Franche-Comté, Service régional de l'Inventaire général ; photogr. Jérôme Mongreville, Yves Sancey ; cartogr. Christophe Batardy. - Besançon : Association pour la Promotion et le Développement de l'Inventaire comtois, 1998. 360 p. : ill., cartes ; 27 cm. (Indicateurs du patrimoine).

  • Favereaux, Raphaël. Patrimoine industriel de la Haute-Saône / Région Franche-Comté, Direction de l'Inventaire du Patrimoine ; photogr. Jérôme Mongreville ; cartogr. André Céréza. - Lyon : Lieux Dits, 2010. 112 p. : ill. ; 30 cm. - (Images du patrimoine ; 261)

  • Favereaux, Raphaël ; Poupard, Laurent. Franche-Comté, terre d'industrie et de patrimoine / Région Bourgogne-Franche-Comté, Service Inventaire et Patrimoine ; photogr. Sonia Dourlot, Jérôme Mongreville, Yves Sancey ; dessins Mathias Papigny, Aline Thomas ; cartogr. Pierre-Marie Barbe-Richaud, André Céréza. Lyon : Lieux Dits, 2021. 416 p. : ill. ; 30 cm.

    P. 262-277 : ill.
  • Ferrer, André. La ruée vers l’or blanc en Franche-Comté au XIXe siècle. Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, n° 53, 2011, p. 5-27 : ill.

  • Grassias, Ivan ; Markarian, Philippe ; Pétrequin, Pierre ; Weller, Olivier. De pierre et de sel : les salines de Salins-les-Bains. - Salins-les-Bains : Musées des Techniques et Cultures comtoises, 2006. 143 p. : ill. ; 30 cm.

  • Ledoux, Claude Nicolas. L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation. - Paris : Editeurs des sciences et des arts, 1997, [1804].

  • Mairot, Philippe. Salins-les-Bains - Arc-et-Senans : fortunes du sel comtois. - Lyon : le Progrès, 2010. 51 p. : ill. ; 21 cm. (Les patrimoines)

  • Massounie, Dominique. Arc-et-Senans : la saline royale de Claude-Nicolas Ledoux. - Paris : Ed. du patrimoine, 2016. 223 p. : ill. ; 28 cm.

  • Le sel et son histoire : actes du colloque de l'Association interuniversitaire de l'Est, Nancy, 1-3 octobre 1979. - Nancy : Publications de l'Université de Nancy II, 1981. 542 p. : ill. ; 24 cm. (Association interuniversitaire de l'Est ; 20)

  • Vion-Delphin, François. Salines et forêts au XVIIIe siècle : le cas des salines de Montmorot. In : Le sel et son histoire : actes du colloque de l'Association interuniversitaire de l'Est, Nancy, 1-3 octobre 1979. - Nancy : Publications de l'Université de Nancy II, 1981, p. 347-362.

Documents figurés

  • Salins en 1628. Tableau (huile sur toile), par Nicolas Richard.

    Musée de la Grande Saline, Salins-les-Bains
  • Coupe du puits à Gré montrant le système d’élévation des eaux, dessin, par Anatoile Chastel, s.d. [début 17e siècle]

    Bibliothèque d'étude et de conservation, Besançon : Ms Chifflet 44, f. 72
  • Chaudière pour l’évaporation de la saumure à la saline de Salins, dessin, par Anatoile Chastel, s.d. [début 17e siècle]

    Bibliothèque d'étude et de conservation, Besançon : Ms Chifflet 44, f. 72
  • [Le puits à Muyre de la saline de Salins (détail)],dessin, s.n., s.d. [copie vers 1650 d’un dessin daté de 1467]

    Archives départementales du Doubs, Besançon : B 2103
  • Machine hidraulique et rouages pour l'élévation des eaux de la cuve du Tripot. Dessin, s.d. [milieu 18e siècle]. Echelle de 4 toises.

    Archives départementales du Jura, Montmorot
  • Vue de la chaudière des Salines de Lons-le-Saulnier. Gravure, s.d. [2e moitié 18e siècle], par Lallemand (dessinateur) ; Née (graveur)

    Bibliothèque municipale, Besançon
  • Lons-le-Saunier. Vue prise au dessus de Montmorot. Gravure, s.d. [19e siècle], par Guesdon, A. (dessinateur) ; Springer, A. (lithographe)

    Bibliothèque municipale, Besançon
  • Saline de Melcey et Fallon. Plan général [...] [coupe longitudinale de la salle des poêles]. Dessin, calque, lavis, 1:500, s.d. [1849], par Lamare (architecte)

    Archives départementales de la Haute-Saône, Vesoul : 299 S 12
  • [Vue d'ensemble de la saline de Gouhenans], photographie (calotype, négatif papier), par Alphonse Poitevin, s.d. [entre 1844 et 1855]

    Musée Nicéphore Niepce, Chalon-sur-Saône
  • Archives départementales du Doubs, Besançon, 6Fi25133/5. Intérieur des salines de Chatillon-le-Duc, carte postale, s.d. [fin 19e ou début 20e siècle].

    Archives départementales du Doubs, Besançon : 6Fi25133/5
  • Vue plongeante depuis le sud, photographie, s.n. [par Jules Manias ?], s.d. [début 20e siècle], plaque de verre 13 x 18 cm

    Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire et Patrimoine, Besançon : Fonds Manias
  • [Vue aérienne des salines]. Photographie, s.d. [1er quart 20e siècle].

    Archives départementales du Jura, Montmorot : 1 J 184
  • Salins-les-Bains (Jura). Dans les Souterrains de la Saline, le Puits d'Amont, carte postale, s.n., s.d. [1er quart 20e siècle, avant 1912], David-Mauvas éd., Salins-les-Bains. Datation : porte la date 11 novembre 1912, après 1903 (séparation au dos).

    Collection particulière : Martine Bellague, Salins-les-Bains
  • Evaporateur Escher-Wyss pour la fabrication de sel fin aux salines de Montmorot (Jura). Photographie, s.d. [1947-1948].

    Archives départementales du Jura, Montmorot : 1 J 184
  • En avion au-dessus de... Miserey-Salines (Doubs). Les Salines. Carte postale, Sofer éd., s.d. [années 1950 ?].

    Archives départementales du Doubs, Besançon : 6 Fi 25381-6
  • En avion au-dessus de... Miserey-Salines (Doubs). Station de pompage des eaux salées. Carte postale, Lapie éd., s.d. [années 1950 ?].

    Archives départementales du Doubs, Besançon : 6 Fi 25381-7
Date(s) d'enquête : 1988; Date(s) de rédaction : 2020
(c) Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine
Poupard Laurent
Poupard Laurent

Poupard, Laurent. Chercheur au service Inventaire et Patrimoine de la Région Bourgogne-Franche-Comté, 1987-

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