Hamelin, Liliane ; Jacques, Christophe. Rougemont, petite cité comtoise de caractère. - Lyon : Lieux Dits, 2011, p. 62-70: ill. (Parcours du patrimoine ; 361).
LE QUARTIER DE LA GARE
L'aménagement de la cité se poursuit aux XIXe et XXe siècles grâce à la construction de la gare.
La construction de la gare
Après bien des atermoiements, le tracé de la ligne de chemin de fer Lure-Montbozon via Rougemont est adopté par le conseil municipal, le 30 mai 1889. Les travaux de la voie ferrée qui traverse la cité, ceux de la gare et de ses dépendances ainsi que l'accès de la gare peuvent enfin commencer. Lors des aménagements effectués par la compagnie de chemin de fer Paris à Lyon à la Méditerranée (PLM), cette dernière livre aux communes un modèle de gare en fonction du trafic de la ligne desservie, de l'importance de la population et du personnel permanent. La gare de Rougemont, avec une façade de cinq travées couverte d'un toit à croupes correspond à la 2e classe, soit à un trafic de 80 à 150 voyageurs par jour. La façade côté des quais est agrémentée d'une marquise, dont les cartes postales de l'époque ont gardé le souvenir. De l'autre côté de la voie, un petit bâtiment, à l'origine ouvert dans sa partie centrale, abrite les voyageurs.
La gare de marchandises correspond aussi à un plan type fourni par le PLM d'après la largeur du quai. Une rampe d'accès précède le bâtiment construit en moellon calcaire. Le toit déborde largement d'un côté pour protéger les véhicules des clients et de l'autre pour abriter les wagons. Le mur pignon en maçonnerie est percé d'une porte médiane surmontée d'une large fenêtre couverte d'un arc segmentaire.
La maisonnette de garde-barrière est aussi un modèle type. Perpendiculaire à la voie, d'une superficie de 41 m2, elle comprend une cave en sous-sol et quatre pièces : cuisine et chambre au rez-de-chaussée, deux chambres à l'étage. Des latrines sont situées sur le pignon opposé et un jardinet clos par une barrière entoure la maison. Un puits ou une citerne complète l'installation.
Ces travaux donnent non seulement du travail aux entreprises locales mais aussi à un certain nombre d'habitants de Rougemont, vignerons ou agriculteurs qui trouvent là un complément économique non négligeable en louant leur chariot et leurs bras pour transporter les matériaux nécessaires à la construction de la voie : le sable des carrières de Monferney ou les graviers de l'Ognon par exemple.
Liées à l'emprise ferroviaire, des expropriations ont lieu. Le charpentier Louis Pégeot, 1 route de Tressandans, qui voit le terrain sur lequel est installé son hangar rogné, migre alors de l'autre côté de la rue et installe un nouveau séchoir reconnaissable à son mur en briques. Le château Vorget, propriété de la famille de Moustier, est amputé de sa parcelle au-delà du Drigeon ; de même, un terrain appartenant au conseil de fabrique de la chapelle Saint-Hilaire est vendu à la compagnie PLM. Quant aux communaux, ils sont cédés gratuitement.
La création de l'avenue
La gare, située à quelque 200 m de la place du Marché, a nécessité la création d'un accès qui franchit le Drigeon par un pont en pierre à une arche.
Ayant réussi à imposer au PLM une avenue digne de ce nom, la commune achète en 1893 des immeubles pour l'élargir et en prend la gestion au titre de voie communale. Cette décision suscite la fierté de la commune dont on peut lire la description dans le registre du conseil municipal : « L'avenue rectangulaire d'environ 300 m de long, 10 m de large est bordée de trottoirs de chaque côté de 1m50 de large ». Elle est embellie par une double rangée de marronniers et tranche d'autant plus avec les rues étroites et tortueuses de l'ancien bourg.
L'entrée de l'avenue est marquée par deux constructions en vis-à-vis d'un beau volume couvertes d'un toit « à la Mansart », dont l'une en ardoise, signale ainsi sa particularité par rapport aux constructions du village.
Des commerces apparaissent, les Grands Économats à l'entrée de l'avenue, le café de la Paix et des entreprises, comme la scierie de Maurice Fournerot. En 1907, une ferme s'élève à côté de la gare, qui surprend par son importance et sa disposition : le logis perpendiculaire aux parties agricoles abrite deux familles et se distingue par le soin apporté à la construction.
L'activité économique autour de la gare
Trois trains mixtes, voyageurs et marchandises, circulent chaque jour dans les deux sens en direction de Montbozon avec des correspondances pour Vesoul et Besançon, et en direction de Lure avec correspondances pour Belfort et Paris. Une grande activité anime le quartier : les négociants en vin Bichet, rue du Vieux-Moulin, et Muller, rue de la Petite-Côte réceptionnent le vin provenant du Midi de la France, le marchand Grojean, Grande Rue, reçoit la bière, les eaux minérales et plus tard le charbon, puis le fuel dont il fait commerce. D'autres fabricants expédient leurs produits : le négociant Besançon, route de Cuse, y livre le fourrage sous forme de balles, le meunier de Montferney ses farines. L'entrepreneur Marcel Fournerot envoie le bois, provenant des forêts de Haute-Saône et de la vallée de l'Ognon, sous forme de planches pour la menuiserie et de bois de chauffage comme le spécifie son papier à en-tête « Grumes et sciages toute essence. Spécialité chêne et hêtre. Commerce de bois. Bois de chauffage ».
Cette activité dynamise le commerce de la cité. Magasins, entreprises se maintiennent tout au long du XXe siècle : la quincaillerie Cour (1905-1997), rue du Pont, dont le repreneur a gardé l'enseigne. Des entreprises familiales, comme celle du ferronnier-métallier Ducroux, dont l'arrière-grand-père maréchal-ferrant est venu s'installer à Rougemont en 1902, ou celle du bijoutier-horloger Laboube présent depuis 1905 rue du Vieux-Portail, ont traversé le XXe siècle. Mais la plupart concurrencées par les grandes surfaces des cités voisines de Baume-les-Dames, Vesoul où nombre de Rubrimontains vont travailler, n'ont pas trouvé d'acquéreur et ferment l'une après l'autre dans les décennies 1970-1980. Cependant, on note une tendance au retour des commerces de proximité : l'ouverture d'une boucherie est annoncée place du Marché.
L'extension du quartier de la gare au-delà de la voie ferrée
Au tout début du XIXe siècle, le vaste terrain qui se situe au-delà de la voie ferrée est alors vierge de construction, sans doute du fait du sol humide comme l'indique le lieu-dit Mouille-Cul ; seule exception, la présence d'une tuilerie, actuellement ferme, dont l'étang a été comblé en 1960. La gare dynamise cette extension en direction de la route de Tressandans et des entreprises s'y implantent après la première guerre mondiale : entreprise de travaux publics Thavard, scierie Belmont, l'usine Bost filiale de celle de Laissey où s'installera après la seconde guerre mondiale la scierie Louis Fournerot et Fils. Mais la concurrence est rude pour ces entreprises artisanales souvent victimes d'incendies et aux successions difficiles. Notons cependant, que le dernier propriétaire de la scierie Fournerot a trouvé un acquéreur dans la « filière bois » grâce à un charpentier spécialisé dans la construction de maisons en bois.
Le trafic de voyageurs
La liaison ferroviaire reliant Rougemont à Paris via Belfort favorise, dès le début du XXe siècle, la venue de vacanciers depuis la capitale et la naissance d'hôtels. Les touristes, attirés par le calme d'une campagne préservée et par la rivière de l'Ognon réputée poissonneuse viennent en famille. L'hôtelier Séraphin Stouck propose un service de location d'automobile pour découvrir les alentours. Malgré la fermeture de la ligne aux voyageurs en 1939, l'activité de villégiature perdure. En 1946, l'Annuaire commercial Fournier vante les curiosités de la cité : « la vallée de l'Ognon, d'agréables promenades, le Pic de Montaucivey (sic) ». Par ailleurs, la présence du préventorium pour les garçons, l'hospice, la maison de retraite et la nécropole nationale attirent les familles qui trouvent à se loger dans les hôtels de la cité auxquels d'ajoutent l'hôtel Muller et l'Hôtel du Vieux Portail (Chez Piotte).
Le quartier en 2010
Après la fermeture définitive de la ligne Lure-Montbozon en 1986, le site de la gare tombe en déshérence. Une fois par an, le dernier dimanche de juillet, il est occupé par une brocante qui rassemble plusieurs milliers de chineurs. Un projet sur ce site est lancé par la mairie dans le cadre du PLU, en cours de validation, et du schéma urbain des « Petites Cités Comtoises de Caractère ». Une réflexion est en cours pour ouvrir la zone à l'urbanisation avec l'implantation d'une maison de santé et de logements. Le projet comprendrait aussi la transformation du tracé de l'ancienne voie ferrée en voie cyclable. La rivière l'Ognon et ses nouvelles installations nautiques (base de loisirs de Bonnal), la proximité du château de Bournel et de son golf, la présence de sites spéléologiques (Gondenans-Montby, Romain-la-Roche), l'environnement préservé et verdoyant attirent aujourd'hui encore les vacanciers, curieux de découvrir le patrimoine de Rougemont au riche passé historique.
Liliane Hamelin, chercheur. Direction régionale des Affaires culturelles de Franche-Comté puis Région Bourgogne-Franche-Comté, 1976-2018.