Un gisement de sel est découvert à Miserey en 1866. Sur place, une saline est construite en 1872-1873. Les eaux sont analysées par Baudin et Boysson. Le total des sels s'élève à 298 g/L (à Salies-de-Béarn : 291) et le total des chlorures à 291 g/l (à Salies-de-Béarn : 218). Dans les eaux-mères, les concentrations grimpent à 323 g de sel et 308 g de chlorure. Le projet d'utiliser les eaux salées dans un établissement thermal, comme à Salins-les-Bains et à Lons-le-Saunier dans le Jura, voit le jour autour de 1890. Plutôt qu'à Miserey, c'est à Besançon (à près de sept kilomètres à vol d'oiseau) qu'est envisagée sa construction. Le site retenu est celui de la Mouillère, sur la rive droite du Doubs, en face de la promenade Micaud. Les eaux seront conduites à l'aide d'un saumoduc.
Constitution de la Compagnie des Bains salins de la Mouillère (14 janvier 1891)
L'initiative de la construction de l'établissement thermal revient à Achille Viallate, un investisseur ("directeur de stations thermales") demeurant au 346 rue Saint-Honoré à Paris. Il fait connaître son projet au maire, Claude-François Vuillecard, dans une lettre du 21 août 1890. Il se propose "de construire à Besançon un établissement hydrothérapique, en eaux douces et salines, avec salons de récréation et jardins". Par le vote du conseil municipal du 17 septembre 1890, il obtient la promesse d'une subvention de la Ville d'un montant de 150.000 francs et un service gratuit d'eau douce, moyennant la mise "à la disposition de la Ville et gratuitement, six cabines de bains et une salle de douches pour les indigents de la Ville, ainsi qu'un cabinet de consultations médicales également gratuites" et une redevance de "dix pour cent des recettes produites par les abonnements et les entrées dans les salons de recréation de l'établissement". La convention signée entre les deux parties le 31 mars 1891 confirme l'engagement de la Ville à verser la subvention sous la forme de dix annuités de 15.000 francs. Parallèlement, Viallate négocie un traité avec la Compagnie des Sels et Salines de Miserey "pour la fourniture des eaux salées et eaux mères par une canalisation spéciale et destinées au service de bains et douches de l'établissement projeté. Le 31 mars 1892, le conseil municipal accepte la demande de raccordement de l'établissement thermal au réseau d'eau douce de la Ville.
Les statuts de la Compagnie des Bains salins de la Mouillère sont déposés par Achille Vialatte le 14 janvier 1891. Il s'agit d'une société anonyme, régie conformément à la loi du 24 juillet 1867. Ses objets sont l'acquisition d'un terrain à Besançon et la construction d'un "établissement balnéaire et hydrothérapique" et d'un casino doté d'une salle des fêtes. Viallate apporte à la société, en plus des promesses de traité avec la Ville de Besançon et la Compagnie des Sels et Salins de Miserey, deux propriétés foncières acquises de Marie Cécile Clerc, veuve Louvot, le 5 février suivant ("une maison d'habitation de construction récente mixte en forme de chalet" et "un autre chalet avec serres et constructions diverses", "le tout d'une contenance de 12 ares environ et clos de tous côtés par un mur") et surtout une promesse de vente d'un terrain à la Mouillère "derrière la promenade Micaud, appartenant à Monsieur Le Roux, confinant au nord à la rue de la Mouillère [...] et au sud à l'avenue de la gare de la Mouillère, le tout présentant une surface de 90 ares environ, d'un seul tenant". C'est sur ce terrain que sont construits l'établissement thermal et le casino-restaurant. Viallate est nommé président du conseil d'administration pour une durée de trois ans.
Le capital de la Compagnie est de 900.000 francs, correspondant à 1.800 actions de 500 francs en 1891. L'année suivante, une nouvelle émission de 200 actions augmente le capital, qui atteint un million de francs. Les échanges autour d'une subvention à accorder lors de la séance du conseil municipal du 27 mars 1907 précisent que les 983 détenteurs d'actions n'ont rien gagné dans l'opération ("Le capital ne s'élève qu'à un million de francs représenté par 2.000 obligations de 500 francs. Ce capital peut être considéré comme perdu, puisque les actionnaires n'ont jamais rien touché"). Comme le coût de l'achat des terrains et de la construction atteint 2.200.000 francs, la Compagnie doit émettre en parallèle 24.000 obligations de 500 francs à 5 %, ce qui constitue un capital-obligations de 1.200.000 francs. Parmi les 665 premiers actionnaires, on trouve l'architecte Maurice Forien (qui détient dix actions, et qui deviendra plus tard président du conseil d'administration), le directeur des salines de Miserey ainsi que plusieurs hôteliers, médecins, pharmaciens et horlogers. De nouvelles émission d'actions ont lieu en 1898 (4.000 actions de 25 francs), en 1924 (1.500 actions de 100 francs) et en 1926 (300 actions de 100 francs).
Construction de l'établissement thermal (1891-1892)
Marcel Boutterin établit le projet de l'établissement thermal, dont quatre dessins sont conservés. L'élévation du pavillon central de la façade principale est datée du 18 juillet 1891. La coupe longitudinale sur le hall porte la mention "dessin remis à M. Arnoud [?] le 12 mai 1892". Les deux autres dessins ne sont pas datés. Un article publié dans Les Gaudes (16 mai 1892) cite également le nom de l'architecte Rouzet. Il semble avoir joué un rôle secondaire, en dessinant notamment le jardin. Les archives de la Compagnie des Bains salins de la Mouillère ne sont pas conservées, le déroulement du chantier reste par conséquent largement inconnu. On sait que l'entreprise Pateu, qui édifie au même moment le casino-restaurant, intervient dans la construction mais elle pourrait ne pas être l'entreprise principale puisqu'aucun dossier de son fonds ne concerne spécifiquement l'établissement thermal.
La pose de la première pierre de l'édifice a lieu le 28 octobre 1891, d'après Les Gaudes du dimanche suivant ("La cérémonie était tout intime ; du discours prononcé par M. Vialatte nous retenons l'assurance que les établissements des Bains et du Casino seront inaugurés au mois de juin 1892. Une heureuse idée à laquelle nous applaudissons de tout cœur est celle d'élever à proximité des Bains un bâtiment spécial qui servirait d'exposition permanente à nos artistes"). L'établissement thermal et le casino-restaurant qui lui est associé ouvrent finalement leurs portes le 1er juillet 1892.
Premières décennies d'exploitation (1892-1933)
Dès les premières années, l'exploitation de l'établissement thermal semble avoir été difficile : "les vingt premières années d'exploitation furent très pénibles" (Arch. mun. Besançon, 3 Q 77). Les années qui suivent la Première Guerre mondiale (1919, 1920 et 1921) sont les meilleures.
Lors de sa séance du 5 décembre 1902, le conseil municipal décide de maintenir la subvention annuelle de 15.000 francs au-delà de la période de dix ans pour laquelle elle s'était engagée en 1891, et pour une durée de cinq ans. Lors de la séance, M. Laslandes exprime ses réserves et pointe du doigt la mauvaise gestion de la compagnie : "Je vous demande si nous devons nous prêter à ce marchandage ? Qu'aurions nous à répondre si, par exemple, un fabricant d'horlogerie, ou si vous préférez, un industriel quelconque de la ville, venait nous tenir ce langage : Je viens solliciter une subvention parce que je ne fais pas mes affaires, et, si vous ne me l'accordez pas, je vais fatalement faire faillite. [...] Il est également bon de vous rappeler que le premier capital, que j'estime approximativement à deux millions de francs, a été complètement anéanti. C'est vous dire que les actionnaires ont tout perdu."
La Compagnie revient à la charge à l'issue des cinq ans, en 1907. Elle demande le maintien du versement d'une subvention annuelle de 10.000 francs, et s'inquiète du projet de loi visant à taxer les recettes des casinos à hauteur de 15 %. Elle met dans la balance le risque de faillite de la Compagnie et ses conséquences sur la commune. Elle souligne "qu'en présence de la disparition définitive de l'établissement, la liquidation entrainerait le lotissement des terrains sur lesquels une partie en est édifiée et par suite empêcherait à jamais le retour d'une nouvelle exploitation" et "qu'une pareille solution causerait à notre cité un préjudice énorme en démontrant aux yeux des étrangers un état de décadence et, par suite, son manque d'attrait". Les débats au conseil municipal de Besançon au cours de cette année 1907 posent la question du modèle économique du thermalisme "privé". Dans un rapport présenté au conseil municipal le 7 avril 1907, le déficit de l'exploitation de l'établissement s'élève à 67.000 francs pour la période 1894-1902. Mais les rapporteurs mettent en avant les soins gratuits donnés aux indigents et les retombées économiques de l'activité (notamment les emplois) dans la commune. Finalement, le conseil municipal vote une nouvelle subvention annuelle de 10.000 francs, pour une durée de deux ans, le 6 avril 1907. Une mesure comparable, pour les années 1909, 1910 et 1911, est adoptée lors d'un vote du 12 janvier 1909 ; pour l'année 1912, lors d'un vote du 9 novembre 1911.
Acquisition de l'établissement par la Ville (1933)
Les pertes annuelles de la Compagnie sont particulièrement importantes à la fin des années 1920 (203.942 francs en 1927, 246.863 en 1928). L'année 1930 est meilleure, mais les bénéfices sont extrêmement réduits (2.083 francs). Le 5 février 1932, le conseil d'administration de la Compagnie des Bains salins de la Mouillère décide de fermer l'établissement thermal et le casino. Les 7 et 22 mars 1932, le conseil municipal propose alors de louer l'établissement pour un prix de 100.000 francs, pour le sous-louer à une autre société (Nouvelle Société des Bains salins). La solution est rejetée par la Compagnie des Bains salins. L'établissement ouvre finalement bien le 25 mai ce qui permet de sauver la saison, mais la Ville doit prévoir, dans sa délibération du 28 mai, des crédits supplémentaires (50.000 francs) pour les dépenses de personnel, les réparations urgentes et les achats d'eaux. Le casino, quant à lui, reste fermé en 1932.
Le 5 janvier 1933, le conseil municipal adopte finalement le principe de l'acquisition de l'établissement thermal et du casino-restaurant, y compris la salle des fêtes, pour un montant de 3.500.000 francs. La Compagnie conserve uniquement la propriété de l'Hôtel du Parc. Tout en étant consciente des travaux à prévoir (dont le montant est estimé dans un premier devis à 350.000 francs) "pour mettre les divers bâtiments en état d'être exploités", la Ville vote définitivement l'acquisition le 23 janvier 1933. La vente a lieu le 27 avril 1933. L'ensemble de la somme est empruntée à la Caisse Centrale mutualiste de Franche-Comté et du Territoire de Belfort d'une part, et à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Besançon d'autre part. Le 27 avril 1933, un accord est conclu entre la Ville de Besançon et Charles Marchand, directeur de la Société anonyme des Salines et Mines de sel de Miserey. Cette dernière s'engage à fournir les eaux salées, les eaux-mères et les sels d'eaux-mères, contre une redevance annuelle de 15.000 francs, à laquelle s'ajoutent 15 francs par m3. Quant au kilogramme de sel, il est facturé 112,50 francs.
Contrairement au casino-restaurant, l'établissement thermal est exploité en régie directe par la Ville jusqu'en 1948. D'importants travaux de rénovation sont conduits entre 1933 et 1935, pour un montant global approchant le million de francs. L'activité n'est toutefois pas interrompue. L'établissement dispose alors de 74 cabines réparties en trois classes, et de deux grandes salles d'hydrothérapie. Six cabines sont réservées aux bains sulfureux ou sulfo-salins. En 1934, les recettes de l'établissement thermal s'élèvent à 107.514 francs, les dépenses de fonctionnement à 154.665 francs. En décembre 1935, l'architecte Joseph Bourniquel établit le projet d'un second établissement thermal ("piscine et bains salins des Préventoria") à construire sur la colline de Brégille. Ce nouvel équipement aurait dû accueillir les enfants malades du Préventorium de Brégille (pour les filles) et de Super Brégille (pour les garçons), et ainsi permettre de réserver l'établissement thermal de la Mouillère aux seuls adultes. Le projet reste sans suite.
Tentatives de relance de l'après-guerre (1948-1966)
Dans sa délibération du 14 juin 1947, le conseil municipal décide de mettre fin à la gestion en régie directe de l'établissement thermal. Il envisage désormais une concession d'un ensemble comprenant à la fois l'établissement thermal, le casino-restaurant et la salle des fêtes. Le 22 décembre 1947, il choisit comme concessionnaire la Société fermière de l'Établissement hydrominérale et du Casino de Besançon-la Mouillère (SARL dont les statuts sont déposés le 20 décembre 1947). Jean Steiner est président de son conseil d'administration. Le cahier des charges fixe la durée de la concession à 17 ans et 10 mois à compter du 1er mars 1948 et engage le concessionnaire à remettre en état l'établissement thermal dans un délais de cinq années. Deux premières phrases de travaux de deux ans doivent concerner l'aile gauche, puis l'aile droite ; les travaux des troisièmes classes doivent être programmés la cinquième année.
En 1955, une "conversion" de l'édifice est à l'ordre du jour. Dans sa délibération du 25 avril 1955, le conseil municipal autorise en effet la Société fermière à affermer l'établissement thermal au Centre Hospitalier régional de Besançon. Son projet est de créer un service de réadaptation fonctionnelle. Il prévoit que la Ville reste propriétaire des bâtiments, et qu'à ce titre elle exécute les travaux de rénovation nécessaires. Le projet finalement n'aboutit pas.
La Société fermière exploite l'établissement thermal jusqu'en 1964. Elle est mise en liquidation judiciaire en 1965. La Ville doit se résoudre à abandonner l'établissement thermal, qui est détruit à ses frais au printemps 1966. La pierre gravée au nom de l'architecte Marcel Boutterin est déposée près de la maison Colette, qui lui avait appartenue, aux Monts-Boucons. Le terrain ainsi libéré permet la construction de l'hôtel Frantel (actuel hôtel Mercure) de 1967 à 1970. Le 7 mars 1969, le conseil municipal vote en faveur de la création d'un nouveau centre hydrominéral à la Mouillère. Il ouvre ses portes en 1976.
Fabien Dufoulon, chercheur. Région Bourgogne-Franche-Comté, Service Inventaire et Patrimoine, 2018-