Fondée en 1999, la communauté d’agglomération du Pays de Montbéliard regroupe 29 communes, pour une superficie de 179 km² et une population de 120 000 habitants, aujourd’hui connue sous l’appellation de Pays de Montbéliard Agglomération
Localisation
Bordé au nord par le versant méridional du massif des Vosges et à l’est par le Haut-Rhin et la Suisse, le Pays de Montbéliard est placé au centre d’une dépression communément appelée Porte de Bourgogne, zone de passage naturel vers la plaine d’Alsace. La partie septentrionale, où est implanté le chef-lieu, est traversée par les plaines alluviales de la Savoureuse et de l’Allan. Le relief est marqué au sud par le premier plateau, duquel surgit la rivière du Doubs après avoir sillonné la montagne jurassienne. Orienté sud/nord, le cours d’eau décrit un large méandre entre Mandeure et Voujeaucourt, avant de bifurquer vers le sud-ouest et de longer le massif du Lomont en direction de Besançon.
L’aire d’étude retenue pour l’inventaire du patrimoine industriel ne s’est donc pas cantonnée aux strictes limites administratives de l’Agglomération - les 29 communes – et s’est étendue aux communes voisines, qui elles aussi ont su tirer profit du dynamisme économique. L’étude porte ainsi sur 77 communes des cantons de Montbéliard, Audincourt, Etupes, Hérimoncourt, Valentigney, Sochaux et Pont-de-Roide. Cette dernière commune, en amont sur le Doubs, et Colombier-Fontaine en aval, fixent les bornes de l’aire d’études.
Repères historiques
L’industrialisation du Pays de Montbéliard s’amorce au début du 19e siècle autour de 2 branches : le textile (coton) et la métallurgie (fer puis acier). Filatures et tissages de coton se développent d’abord à Montbéliard, puis dans quelques villages voisins, parfois à l’initiative d’industriels originaires d’Héricourt. La branche métallurgique s’illustre grâce à deux familles d’entrepreneurs, qui deviennent rapidement les fers de lance de l’industrialisation du secteur : Peugeot et Japy. Issus du tout proche Haut-Rhin (actuel Territoire de Belfort), les fils (puis les descendants) du fondateur Frédéric Japy acquièrent successivement à Badevel, Dampierre-les-Bois, Fesches-le-Châtel, Bart, Seloncourt, d’anciens moulins qu’ils convertissent à la fabrication d’objets métalliques en tous genres. La famille Peugeot, originaire d’Hérimoncourt, essaime ses usines à Valentigney, Audincourt, Hérimoncourt et Pont-de-Roide, puis Mandeure et Sochaux au début du 20e siècle. Parallèlement, de petites usines se développent (horlogerie à Seloncourt et Montbéliard), travaillant parfois en sous-traitance pour les grosses sociétés (cycle, automobile).
Spatialisation du patrimoine industriel
L’industrialisation est un phénomène global dans le Pays de Montbéliard, puisque 23 des 29 communes recèlent au moins un site industriel. Cependant, le phénomène de concentration n’y est pas étranger puisque les 4 villes de Valentigney, Audincourt, Seloncourt et Hérimoncourt recèlent près de la moitié des sites répertoriés. A l’exception de l’usine automobile Peugeot qui s’étend sur les communes de Sochaux et de Montbéliard, le chef-lieu de l’Agglomération ne conserve que peu de sites industriels, ces derniers ayant été successivement détruits dans la seconde moitié du 20e siècle. La vallée du Doubs, et celle d’un de ses affluents, le Gland, sont des axes majeurs de l’industrialisation au 19e siècle.
La prédominance de la métallurgie
Si l’on considère les branches industrielles des sites recensés, on constate une assez faible diversité des activités. Près de 75 % de ces établissements opèrent (ou ont opéré) dans le secteur de la métallurgie, que ce soit dans la transformation des métaux (fonderie, emboutissage, laminage, tréfilage, décolletage, etc.) ou dans la construction mécanique (horlogerie, automobiles, cycles, équipements ménagers ou industriels). Les autres secteurs sont le textile (7 sites), le travail du bois (5 sites), l’agro-alimentaire (7 sites), l’énergie hydro-électrique (5 sites), etc.
Les résultats de l’enquête
212 sites identifiés (85 % situés dans le périmètre de l’Agglomération), dont 99 sites de production (usines ou ateliers), 80 logements ou cités d’ouvriers ou d’employés, 18 demeures patronales, 4 magasins coopératifs (type Fraternelle), 3 « cercles », 3 hôpitaux, 2 bains-douches, une cantine, une chapelle et une ferme.
Un patrimoine en devenir
Un peu moins de 30% des sites conserve une activité industrielle, souvent différente de l’activité originelle. La majorité des usines et ateliers, après leur cessation d’activité, ont été reconvertis à diverses fins (logement, commerce, service), parfois au prix de démolitions partielles. Enfin, une dizaine d’établissements restent aujourd’hui sans affectation, dans des états de conservation très variables.
L’architecture des lieux de travail
Le patrimoine industriel du secteur présente une grande variété de formes. Du simple atelier de décolletage à la grande usine d’assemblage rassemblant des centaines, voire des milliers d’ouvriers ; de la petite scierie actionnée par une machine à vapeur à la centrale hydro-électrique distribuant l’énergie aux industriels ; de la fabrique d’horlogerie à la manufacture de quincaillerie, l’architecture s’adapte au coût des matériaux, aux contingences énergétiques et aux contraintes de la production. L’industrie « lourde » de la métallurgie requiert de vastes ateliers, construits en rez-de-chaussée pour faciliter la manutention, dotés de charpentes métalliques équipées de ponts roulants et couverts de sheds (toiture à profil en dent de scie). Si certaines de ces grandes usines ont disparu (Beaulieu-Mandeure) ou sont désaffectées (usine AOP de Valentigney), beaucoup ont conservé une activité de production, témoin de la vitalité industrielle de la région. A l’opposé, les établissements plus traditionnels (moulin, scierie, martinet) mettent en œuvre des matériaux locaux (pierre, brique, tuile). Implantés en milieu rural, à proximité de la matière première, ils répondent à une demande locale et restent dépendants de l’énergie hydraulique. A mi-chemin, de gros ateliers ou de petites usines, dont les productions sont souvent liées aux grandes sociétés, apparaissent à la fin du 19e et au début du 20e siècle, fondées par des entrepreneurs locaux ou des industriels suisses. Seloncourt se distingue par le chapelet de fabriques qui ont dynamisé son économie, à l’origine tournée vers l’horlogerie, puis évoluant vers la sous-traitance automobile après la Seconde Guerre mondiale. Quasiment toutes fermées à la fin du 20e siècle, ces modestes usines, souvent reconverties en logements quand elles n’ont pas été détruites faute d’entretien, témoignent du tissu de petites entreprises qui ont accompagnées le développement des grandes firmes.
L’architecture de l’habitat
Inséparable corollaire de l’expansion usinière, le développement de « l’habitat industriel » (ouvriers, employés et dirigeants) représente un patrimoine immobilier de premier plan dans le Pays de Montbéliard. Plus importantes en nombre, les 80 cités ouvrières recensées comptent plusieurs centaines d’immeubles, soit des milliers de logements. Souvent construites à l’initiative des grosses sociétés (Cie des Forges d’Audincourt, Peugeot, Japy), elles ont principalement vu le jour entre les années 1870 et 1930, à dessein de loger ouvriers et employés (cadres) non loin de l’usine. On trouve ainsi des maisons individuelles, jumelées, et des habitations regroupant de 4 jusqu’à 26 logements. Pour la plupart de construction solide, quoique sans confort (dépourvues de sanitaires), elles ont quasiment toutes été cédées dans les années 1960-1970 par les sociétés qui les détenaient, soit à des propriétaires privées, soit à des offices publics ou des entreprises privées. Si 95% des cités ouvrières sont parvenues jusqu’à nous, beaucoup ont fait l’objet de campagnes de modernisation et de réhabilitation à partir des années 1980-1990. Plus encore que les usines, elles façonnent aujourd’hui l’urbanisme de bien des villes de l’Agglomération, tout en transmettant un témoignage du passé industriel. Par leur caractère unique, fruit du travail d’un architecte, les demeures patronales s’opposent clairement au caractère répétitif et normé de l’habitat ouvrier. Par leur élégance, le choix de leurs matériaux nobles (pierre de taille, ardoise, verre, ferronnerie, décor de façade), l’existence de dépendances (écurie, remise, serre, kiosque, parc), leur implantation parfois ostentatoire, elles attestent de la qualité de leurs commanditaires et témoignent de leur réussite. Enfin, l’étude a mis en valeur la présence d’équipements, principalement à vocation sociale, édifiés à proximité des usines. Construits à l’initiative des grandes entreprises (Peugeot surtout), ils s’inscrivent dans le projet paternaliste, tout en permettant aux usagers de profiter de ces lieux de soin (hôpitaux), d’hygiène (bains-douches), de restauration (cantine, ferme) ou de détente (« cercle »). En revanche, les magasins coopératifs, de type Fraternelle, apparus à la fin du 19e siècle, répondent à un souci d’émancipation du paternalisme local.
Raphaël Favereaux, chercheur. Région Bourgogne-Franche-Comté, Service Inventaire et Patrimoine, 1995-