Le Haut-Doubs : montres et composants horlogers
Au plus près de l’horlogerie suisse, le Haut-Doubs constitue un vaste atelier qui lui fournit main d’œuvre et composants depuis la fin du 18e siècle. Cette zone frontalière (l’actuel « Pays horloger ») associe le val de Morteau (au sud) au plateau du Russey et de Maîche (au nord), qui domine la cité de Saint-Hippolyte. Face à ces quatre bourgs, Le Locle et La Chaux-de-Fonds en Suisse sont dès le 18e siècle des villes, dans lesquelles l’horlogerie a trouvé à s’épanouir, sous l'impulsion d'une figure devenue mythique : Daniel Jeanrichard. Mais ce sont à cette époque, de chaque côté de la frontière, les mêmes paysans habitués au travail du métal, minutieux et relativement disponibles. Aussi lorsque l’horlogerie helvétique manque de main-d’œuvre la trouve-t-elle facilement dans les campagnes françaises proches.
Une activité bien établie au milieu du 19e siècle
L’importance réelle de l’horlogerie à la fin du 18e siècle et dans la première moitié du 19e demeure mal connue. Elle est attestée de manière indirecte par le maire de Morteau qui écrit en 1835 : « il existait dans cette commune différents établissements d’horlogerie qui occupaient un grand nombre d’individus de la classe ouvrière » (Cité par : Briselance, Claude-Gilbert. L’horlogerie dans le val de Morteau au XIXe siècle (1789-1914), 1993, vol. 1, p. 104-105.). Il déplore que par suite de la crise sévissant alors, « la mendicité [soit] devenue dans la commune une véritable profession », et propose sa solution : « faire renaître l’industrie de l’horlogerie pour faire renaître la prospérité ». Pour cela, il faut créer une école pratique, comme cela s’est fait en Suisse. L’autorisation lui est accordée en 1836 (alors qu’elle est refusée à Besançon) et l’école fonctionne jusqu’en 1850, donnant une base solide au milieu horloger local.
Milieu dominé dans un premier temps par le travail à la ferme : le paysan est fréquemment paysan horloger mais si l’horlogerie rapporte plus, il devient horloger paysan, allant même jusqu’à confier l’exploitation de ses terres à un fermier. Seul le site de la Rasse (commune de Fournet-Blancheroche) atteint une dimension industrielle dans le troisième quart du 19e siècle : François Joubert convertit en 1857 ce moulin en fabrique d’horlogerie comptant 100 à 120 personnes (en grande partie à domicile) et produit des ébauches et, à partir des années 1880, des montres finies.
Les bourgs s’étoffent, tel Charquemont qui passe de 692 habitants en 1821 à 1 930 en 1866 (dont le tiers vit de l’horlogerie). En 1850, l’abbé Guinard, curé des Ecorces, s’alarme : « Ceux qui ne s’occupent pas à l’agriculture se livrent à l’industrie de l’horlogerie : roues de montres, cylindres, verges, etc. Cette industrie florissante dans le pays, procure de grands avantages matériels aux pauvres gens. Elle finira par amener la dépravation, si on n’y prend garde, à cause de l’argent qu’elle procure aux jeunes gens et du nombre de personnes qu’elle attire dans le pays dont la conduite est souvent aussi irréligieuse qu’immorale. » (Cité par : Monnet, Bruno ; Sichler, Guy. Charquemont, Fournet-Blancheroche, 1770-1890, 2012, p. 344.).
Dans cette vaste zone, chaque village se spécialise dans la production d’un composant particulier, dont il maîtrise la fabrication. C’est ainsi que Bonnétage et Les Fontenelles réalisent les roues de cylindre, Damprichard et Charmauvillers les boîtes, que Villers-le-Lac se spécialise dans les balanciers et le plantage d’échappements, etc.
Mais la production phare du plateau, et plus particulièrement de Charquemont, est l’échappement à cylindre. Offrant une grande régularité de marche et permettant la réalisation de montres plates, cet échappement s’est répandu à la fin du 18e siècle lorsque l’on est arrivé à en maîtriser la fabrication (une cinquantaine d’opérations). Ses composants sont alors réalisés dans les fermes, une gageure quand on sait qu’un cylindre ne mesure que deux ou trois millimètres de long. De fait, pour ce produit, le Haut-Doubs acquiert une position de monopole, tant vis-à-vis des fabricants français qu’helvétiques. Il la conservera jusqu’à la Première Guerre mondiale, qui forcera les Suisses à réaliser eux-mêmes cet échappement, détrôné au milieu du 20e siècle par celui à ancre.
Des fabriques d'outillage dynamiques
Le formidable développement que va connaître l’horlogerie est issu de l’activité de milliers d’artisans, pluriactifs ou non, et d’un travail essentiellement manuel. Bref, de l’utilisation d’instruments, d’outils et de petites machines d’établi. A chaque opération son outil (ou ses outils), parfois décliné(s) en gamme(s) en fonction de la taille des composants : ne dit-on pas de l’horloger qu’il est l’ « artisan aux 1 000 outils » ?
En Franche-Comté, deux villages vont se spécialiser dans cette production : Montécheroux, non loin de Montbéliard, et Les Gras, aux portes de Morteau. Tous deux ont en commun une réelle tradition du travail du métal, mais avec mise en forme à chaud par forgeage pour le premier et à froid par usinage pour le second. Tous deux se caractérisent par l’importance du travail à domicile mais à Montécheroux, la production est commandée et commercialisée par des fabricants négociants tandis qu’aux Gras, chaque famille constitue une entreprise à part entière, spécialisée sur certains produits et qui a ses propres circuits de diffusion.
A Montécheroux, au 18e siècle, les forgerons sont couteliers. Vers 1780, Jonas Brandt convainc certains d'entre eux de convertir leur forge à la fabrication de l’outillage pour l’horlogerie. Cette industrie prend son essor et l'affaire de son beau-frère, Jean-Nicolas Abram, est ainsi évoquée en 1804 : « La fabrique occupe quarante ouvriers, dont trente liment, cinq forgent et cinq polissent, chacun dans leur maison [...] On leur fournit tout. Les outils qu’ils ont fabriqués leur sont payés à un prix fixe ; la fabrique, avant de les livrer au commerce, les fait tremper et finir : elle se charge seule du débit de ces marchandises ; on en vend en assez grande quantité, ce qui n’est pas étonnant, vu la modicité du prix. On les envoie dans différentes villes de France et surtout dans le comté de Neufchâtel. » (Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale, n° 20, ventôse an XII (février-mars 1804), p. 145-147).
Travaillant à domicile, les ouvriers se spécialisent rapidement dans une tâche et sont « forgeurs » (forgerons), limeurs, trempeurs ou polisseurs. Le contrôle et la finition des outils sont assurés par les marchands, peu nombreux (les annuaires en mentionnent 18 en 1880). Trois entreprises vont atteindre une dimension industrielle, exportant dans le monde entier. Fondée en 1873, la société Hugoniot-Tissot et Cie fait construire en 1888 la première usine du village (la « Fabrique », rue de Saint-Hippolyte) ; devenue Hugoniot-Perrenoud et Cie, elle emploiera 143 ouvriers à Montécheroux et 59 à Liebvillers en 1926. La société E. Ducommun et Marti, créée en 1911, fait édifier la sienne vers 1920 et comptera 97 ouvriers à temps complet en 1926. Plus modeste est la société Fernand Hugoniot, née en 1948 et occupant une cinquantaine de personnes en 1964.
Au sud du territoire, Les Gras se spécialisent - dès 1800 ? en tous cas avant 1823 - dans la tournerie sur métal et sur bois pour réaliser des outils pour l’horlogerie. La version officielle fixe à 1834 l’introduction de cette production par Lucien Garnache-Barthod, formé en Suisse et à la tête d'une affaire florissante dans les années 1840 : « Pour procurer des débouchés aux produits de tant d’industriels [environ 150 artisans à cette époque], l’exposant leur fournit en majeure partie toutes les matières premières qu’il tire de France et achète ensuite leurs outils fabriqués qu’il expédie aux nombreuses maisons qu’il connaît en France, en Angleterre et en Suisse. » (Cité par : Daveau, Suzanne. Les régions frontalières de la montagne jurassienne, 1959, p. 424). La fabrication des outils occupe le tiers des artisans en 1836, la moitié en 1851 puis les trois quarts en 1911. En 1882, la commune compte 123 fabricants et 623 « ouvriers », dont un grand nombre à domicile : chaque ferme, chaque maison - ou presque - accueille un voire plusieurs ateliers, et les hameaux sont au même titre que le village des « centres industriels ».
Avec l’arrivée de l’électricité en 1900, les ateliers peuvent se développer et se mécaniser, la production se diversifier et toucher d’autres domaines : apiculture, miroiterie, matériel médical, bijouterie, etc. Rares sont les fabricants qui exploitent une marque personnelle : la plupart des outils sont vendus sans, le négociant ou le grossiste inscrivant la sienne. La commercialisation s’effectue soit en direct, chaque artisan ayant son propre réseau plus ou moins développé, soit par l’intermédiaire de l’un des négociants locaux, qui regroupent les produits et les envoient dans le monde entier (Louis Tisserand, Léon André, etc.). Au milieu du 20e siècle, une seule fabrique aura acquis une stature industrielle : celle de la famille Amyot (une cinquantaine de personnes dans les années 1950).
Une industrie en essor jusqu’à la Première Guerre mondiale
Dans la deuxième moitié du 19e siècle, l’horlogerie permet d’offrir du travail à une population en pleine expansion qui, sans elle, aurait été contrainte au départ. Cette main-d’œuvre se concentre de plus en plus dans les bourgs : les habitants de Morteau, par exemple, sont au nombre de 1 826 en 1876 puis de 4 018 en 1911. L’industrie horlogère se développe considérablement dans le quatrième quart du 19e siècle, profitant de la desserte du Haut-Doubs par le chemin de fer (lignes Besançon-Le Locle via Morteau en 1884, Morteau-Maîche en 1905) et de l’arrivée de l’électricité en 1895 (centrale hydroélectrique suisse de la Goule pour la zone Maîche-Le Russey et Société électrique de Morteau) et 1909 (centrale du Refrain sur la commune de Charquemont, desservant le plateau et la région de Montbéliard).
Les fabricants viennent donc s’installer au village, premier électrifié. C’est ainsi que Joseph Jeambrun quitte sa ferme des Bréseux pour ouvrir une usine à Maîche. De même, la fabrique d’ébauches et de montres Mougin s’établit en 1905 à Damprichard, abandonnant le site de la Rasse lorsque la municipalité de Fournet-Blancheroche refuse l’offre d’électrification de la Société des Forces motrices du Refrain. Des ateliers plus importants et des usines voient le jour, comme à Charquemont celle d’Aster Frésard édifiée derrière sa ferme.
La nature même de l’industrie horlogère locale change, avec l’introduction des machines-outils et l’élargissement de la production à la montre finie. Sans surprise, la mécanisation touche - comme dans la région de Montbéliard - tout d’abord la fabrication des ébauches. C’est à Villers-le-Lac que s’implantent les deux usines les plus importantes : celles d’Hippolyte Parrenin en 1876-1877 (avec machine à vapeur en 1886) et de Virgile Cupillard en 1893-1894. Lui est contemporaine la fabrique Frainier à Morteau qui, employant 200 personnes en 1901 (et plus de 300 en 1906), est réputée être la plus importante manufacture de boîtes de montre d’Europe.
Le Haut-Doubs se lance aussi dans la fabrication des montres avec une usine ultra-moderne créée en 1880-1881 à Morteau : la Grande fabrique. Cet établissement est l'œuvre d'Elie Belzon (1838-1911), ingénieur mécanicien originaire des Pyrénées-Orientales, qui projette de fabriquer une montre bon marché (5 francs au lieu des 9 à 12 francs habituels), s’inscrivant ainsi dans la lignée de Roskopf et de sa Prolétaire (1867, La Chaux-de-Fonds). Il veut suivre le modèle industriel américain, révélé en 1876 par l’exposition universelle de Philadelphie et qui se développe en Suisse (notamment avec Favre-Jacot et son usine des Billodes, au Locle). Privilégiant mécanisation (machines-outils automatiques) et interchangeabilité, il crée une véritable manufacture, produisant la majorité des composants qu’elle assemble, équipée d’une machine à vapeur et éclairée à l’électricité. Si des problèmes financiers ne permettent pas à l’entreprise d’occuper la place qui lui revient, une telle concentration de main d’œuvre - 412 personnes en 1894 - est une première dans le secteur.
A Morteau, les fabriques de montres les plus importantes appartiennent aux établisseurs, qui occupent un personnel réduit dans leurs locaux. Telles celles des frères Wetzel : Charles, établi en 1872 et dont l’affaire, reprise en 1900 par son fils Emile, aurait employé 200 personnes à domicile ; Edouard, installé en 1876, auquel succède la société Les Fils d’Edouard Wetzel (future Thalès).
Une autre circonstance s’avère décisive pour orienter la production vers la montre finie : la guerre commerciale entre la Suisse et la France. La loi Méline, adoptée en 1890 pour protéger la production agricole française, signe le retour à un important protectionnisme. En représailles, la Suisse hausse ses propres droits de douane, fermant de fait sa frontière et mettant sur la paille ses fournisseurs et sous-traitants français tels les planteurs d’échappements de Villers-le-Lac (la ville compte 800 chômeurs !). Certains réagissent en se convertissant à la « terminaison » de la montre complète : Ulysse Anguenot, les Deleule, Joriot, Moutarlier, Vuillemin Frères, etc. Ces quelques années, de 1892 à 1895, suffisent à implanter durablement la nouvelle industrie et en 1893, le val de Morteau produit 200 000 montres (qui ne sortent pas toutes d’entreprises françaises d’ailleurs : certains fabricants suisses y ont ouvert des succursales afin de limiter les perturbations).
De la Première Guerre mondiale aux Trente Glorieuses
Les deux guerres mondiales remettent en cause certains équilibres. Ainsi, la fermeture des frontières en 1914 coupe les fabricants français de leur clientèle suisse, conduite à produire elle-même quelques-uns des composants jusque-là achetés dans le Haut-Doubs, comme l’échappement à cylindre. A l’inverse, plus tard, la recherche d’autonomie initiée par Louis Trincano, directeur de l’école d’horlogerie de Besançon, sera poursuivie par le Comité d’Organisation de la Montre, fondé en 1940. Le Comontre (futur Cetehor) souhaite la constitution d’une industrie française des pierres pour l’horlogerie (les rubis) et en 1941-1942, il convainc Louis Prétot, à Charquemont, et la société Cheval Frères, aux Fontenelles, de se lancer dans cette fabrication. Le premier crée Rubis-Précis (180 personnes dans les années 1950), le second ouvre en 1943 une unité de 80 ouvriers à Maîche.
La reprise à l’issue des guerres peut donc s’avérer compliquée. D’autant que dans les années 1920, à une énième crise horlogère s’ajoute celle mondiale de 1929. Les horlogers de Villers-le-Lac, Charquemont et autres lieux doivent s’occuper à des travaux de terrassement pour subsister. Toutefois, le marché protégé que constituent les colonies permet à l’horlogerie française de redémarrer, plus rapidement qu’en Suisse ce qui incite certaines entreprises helvétiques à franchir la frontière (à Morteau : Gerber Frères vers 1925, Schild et Cie à la même époque, Fernand Girardet et Fils en 1930, etc.).
Mécanisation de la fabrication des composants et hausse de la demande en montres conduisent, à partir des années 1930, toujours plus d’horlogers à créer leur affaire, généralement de taille modeste. Ils emploient du personnel à domicile, plus ou moins nombreux suivant les commandes, et fabriquent sous la marque de leurs clients ou sous la leur. Leur production est de plus en plus composée de montres-bracelets, dans lesquelles l’échappement à ancre remplace progressivement celui à cylindre. Ce type d'échappement est produit dans le Haut-Doubs depuis 1920-1921, date d’ouverture de l’usine d’Elie Clérian au Russey, suivi en 1926 par Joseph Jeambrun à Maîche et en 1933 par Pierre Frésard à Charquemont. Quelques belles affaires voient alors le jour telle en 1924-1925 la fabrique de montres de Marius Anguenot, qui emploie 90 personnes en 1930 et sera un temps l’une des plus grandes entreprises horlogères de France.
A l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, le boom de l’horlogerie est sans précédent. Les entreprises se multiplient, certaines d’importance comme Anguenot Frères-Herma, Bouhelier et Parent Frères à Villers-le-Lac, et la production s’envole : Charquemont, par exemple, fabrique près de 300 000 montres en 1955 mais 1 700 000 en 1972. A Morteau, la manufacture Emile Cattin et Cie fait construire en 1962 une nouvelle usine, dans laquelle elle produit 10 000 montres par jour au début des années 1970. Réalisant elle-même ses mouvements, elle comptera un maximum de 360 salariés dans les années 1980. La main-d’œuvre est formée par l’école d’apprentissage (« école-atelier ») ouverte en 1947 à Morteau et intégrée en 1963 dans le nouveau collège d’enseignement technique (cette formation horlogère existe toujours au sein de l’actuel lycée Edgar Faure).
Une industrie en crise à partir des années 1970
Cet essor est brisé dans les années 1970 par plusieurs facteurs. La France, qui vient de perdre le marché privilégié que constituaient ses colonies, est confrontée à la crise mondiale (premier choc pétrolier). Les horlogers doivent aussi faire face à la concurrence asiatique, dopée par une main d’œuvre peu chère, et à un changement technologique majeur : l’arrivée du quartz. L’horlogerie devient l’affaire d’électroniciens et non plus de mécaniciens. Le monde horloger du Haut-Doubs ne réagit pas mieux que celui de la région bisontine, dont il partage dorénavant le sort. La plupart des petites entreprises disparaissent tandis que les grandes cherchent à se regrouper. Ainsi, par exemple, avait été créée en 1959 à Morteau la fabrique de montres Cupillard-Rième (Ets Cupillard-Vuez et Maurice Bussard). Le mouvement s’accélère au milieu des années 1960 avec la constitution de la Compagnie française de Montres (Léon-Georges Petit et Abel et Ernest Monnin à Charquemont, Michel-Amadry, Camille Mercier et Thalès à Morteau) et de la société France Montres Export (Georges Monnin et Michel Herbelin à Charquemont, Parent et Marguet à Villers-le-Lac). En 1969 à Villers-le-Lac, Herma et Hubert Lambert et Fils s’associent pour créer le groupe Finhor.
Même réaction chez les fabricants d’ébauches : en 1967 est fondée la société France Ebauches, réunissant Cupillard à Villers-le-Lac, Jeambrun et Technic Ebauche à Maîche, et la Fabrique d’Ebauches de Montres du Genevois à Annemasse (Femga). France Ebauches fait mieux que résister : elle construit deux nouvelles usines (en 1975 à Valdahon et en 1980 à Maîche), emploie 710 personnes en 1977 et se situe au deuxième rang mondial avec 8 millions d’ébauches.
La crise impacte directement les producteurs d'outillage dont la clientèle se raréfie alors même qu'elle intensifie sa mécanisation. A Montécheroux, où le travail à domicile décline, la production s'est diversifiée, avec l’essor d’un produit qui fait sa renommée : la pince maillée ou « entrepassée ». Mais cette diversification est insuffisante face à la mondialisation et les ateliers et les usines ferment (la dernière sera transférée au Russey en 2017). Aux Gras vient le temps de la reconversion (en entreprise de décolletage) et de la sous-traitance (pour Peugeot par exemple). Les entreprises sont moins d’une vingtaine en 1978, sept seulement dix ans plus tard. Pour se développer, la plupart sont obligées de quitter la commune, trop enclavée : Amyot se délocalise à Pontarlier en 1973, Baron en 1972 et Grandidier en 1993 s'établissent à Grand’Combe-Châteleu. Le dernier départ (pour le Russey) est à la fin de 2015 celui de la société Moyse Outillage.
L’Etat cherche à organiser la filière autour d’un leader. Lip ayant fait faillite en 1973, son choix se porte sur Jaz, repreneur vingt ans plus tôt de l’activité horlogère de Japy. En 1978, avec Cupillard-Rième et Finhor, Jaz crée France Montre électronique (Framelec), qui compte 525 salariés et reprend la fabrication de modules à quartz de Montrelec. Mais elle cède la place à Matra Horlogerie, filiale de Matra créée en 1981 avec le soutien de l’Etat. La nouvelle entreprise est forte de 1 700 personnes et de 3 000 000 de montres. Elle arrête toutefois en 1981 la production de ses modules électroniques pour se fournir auprès du Japonais Hattori Seiko, qui devient son actionnaire majoritaire en 1986 et la renomme Compagnie générale horlogère. Lorsqu’il la supprime en 1996, la France perd la moitié de son potentiel horloger.
Les entreprises disparaissent les unes après les autres : à Maîche Relliac en 1976 et Codhor en 1991, à Damprichard la SBBM (Société des Boîtes et Bracelets-Montres Burdet) en 1980 (600 personnes en 1974), à Morteau Cattin en 1997 (300 personnes en 1989), etc. Le mouvement se poursuit au début du 21e siècle : France Ebauches en 2009, Isa France (auparavant Bulova) et Christian Bernard (à Maîche) en 2016. Les fabricants de composants sont tout aussi peu nombreux et d’ailleurs, la plupart sont propriété d’entreprises suisses ou travaillent pour elles. Rares sont donc en 2018 les fabriques de montres dépassant la dizaine de personnes : Péquignet (créée en 1973), Ambre et la Société de Diffusion horlogère à Morteau, Berthet Horlogerie à Villers-le-Lac (laquelle produit ses boîtes et composants à Charmauvillers), Michel Herbelin et Saint-Honoré Paris à Charquemont.
On assiste actuellement à un mouvement de création de petites entreprises, qui essaient de relancer le secteur de l'horlogerie. Secteur dans lequel, avec 2 080 personnes en 2013, la Franche-Comté concentre encore 70 % de la population horlogère, en grande partie dans le Haut-Doubs. A comparer toutefois aux 10 000 frontaliers travaillant (en 2017) dans des entreprises horlogères suisses : si la compétence de la main d’œuvre française est toujours reconnue, elle trouve dorénavant à s’exercer de l’autre côté de la frontière). Horlogeries française et suisse sont donc toujours liées, et les deux pays se sont même associés dans une démarche commune de candidature auprès de l’Unesco pour faire inscrire sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art.
L'étude du Pays horloger a permis la constitution d'environ 600 dossiers en rapport avec l'horlogerie, dont près de 500 sur des sites (maisons, ateliers, usines, etc.) et une centaine sur des objets (machines, mécanismes de montre, montres, etc.). Un tiers d'entre eux est lié à ce dossier mais tous sont accessibles par interrogation de la base.
Poupard, Laurent. Chercheur au service Inventaire et Patrimoine de la Région Bourgogne-Franche-Comté, 1987-